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Shangols
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2 mai 2011

LIVRE : Bel-Ami de Guy de Maupassant - 1885

7034Pendant que mon camarade Shang revoit les films de cinéastes hyper-connus (Montagne, Neill, Futagawa, Humberston, et j’en passe), comptez sur moi pour vous faire découvrir de jeunes talents. Et ce Guy de Maupassant n’en manque pas, vous pouvez me croire. On plonge dans Bel-Ami avec le plaisir total de la grande langue, celle qui sait maîtriser tous ses effets, qui connaît tous les rouages d’une construction, d’une grammaire, toutes les ficelles de la narration. Rompu aux cours de français, on voit maintenant « comment c’est fait », et pourtant jamais la forme ne vient polluer le fond, et on est transporté par cette façon à la fois classique et personnelle de vous entraîner dans le récit. Je n’avais pas lu Maupassant depuis longtemps, et j’en ai retrouvé dès les premières pages toute la virtuosité modeste, toute la précision alliée à une sensibilité ravageuse.

 

C’est l’histoire d’un prolo de Normandie qui gravit les échelons sociaux dans le petit monde du journalisme parisien. Son arme, outre son ambition qui confine à la mégalomanie : les femmes. Usant de son charme comme d’un char d’assaut, il sait qui séduire, et à quel moment, pour parvenir à chaque fois à l’échelon supérieur. Maupassant regarde son « héros » fasciné et révolté tout à la fois : le cynisme du récit fait merveille, qui nous raconte cette ascension comme un livre d’aventures, en s’extasiant devant les succès, les bonnes fortunes, les coups du sort du destin de Bel-Ami, malgré le côté proprement insupportable de cet arrivisme qui joue avec les sentiments les plus forts et les pus nobles. La petite société des gens nantis est décrite avec un profond dégoût, mais qui n’apparaît jamais au premier degré ; c’est plus dans les détails que Maupassant sait teinter son « roman sentimental » de violence, contrairement à un Zola par exemple, qui aurait trop tendance à sortir l’artillerie lourde : deux amants qui nourrissent des poissons dans un bassin, et on assiste à une curée sanglante, arrivant là sans qu’on l’ait vue venir ; la description d’une agonie, et c’est la trame entière qui se couvre d’un funeste voile noir, qu’il ne quittera plus malgré l’aspect presque « lumineux » du roman. Sans jamais appuyer, en décrivant simplement les faits et gestes de ce petit groupe d’êtres sans pitié, en s’arrêtant discrètement sur les pensées de son héros sans jamais le regarder de haut, Maupassant donne à sentir l’écoeurement qu’il éprouve face à cette société qui se construit à coups de trahisons, d’arrivismes, de manipulations, de sacrifices des sentiments, de concessions… C’est tellement odieux que c’est souvent drôle, et on se range presque du côté de Bel-Ami quand il en vient à trahir les femmes qu’il aime ou parvient à transformer une de ses lâchetés en fait noble (la superbe scène du duel, ou la rouerie qu’il met à accepter un héritage légué par l’amant de sa femme).

 

Au-dessus de tout ça, la mort plane, élargissant le récit vers une sorte de métaphysique pesante : la fin de la première partie, qui enchaîne le monologue d’un vieillard hanté par la fin et l’agonie de l’ami du héros, est fulgurante de justesse, et trouve des mots bouleversants pour parler de la mort : « Les petites bêtes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aperçu dans la barbe d’un ami, me ravagent le cœur et me crient : La voilà ! ». Il y a vraiment du génie dans cette façon de construire les paragraphes, de gérer la montée de l’émotion. Plus que dans l’écriture elle-même, faussement simple comme sait si bien le faire Maupassant, c’est dans l’agencement du récit entier que Bel-Ami s’avère génial : la montée en puissance du héros va de paire avec celle du récit, de plus en plus ample, de plus en plus terrible, culminant avec ces dernières pages sublimes où, parvenu à un sommet, le personnage regarde déjà le suivant, comme si sa course ne devait jamais prendre fin. En chemin, il aura piétiné des êtres, trahi des femmes, oublié ses amis et brisé des carrières : image désespérante de cette société, mais d’un réalisme qui fait froid dans le dos. Du grand art, voilà.

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