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21 février 2018

Il a plu sur le grand Paysage de Jean-Jacques Andrien - 2012

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Mon voyage dans les Fourons, chapitre dernier. Revoilà notre bon vieux Jean-Jacques de retour dans les Fourons austères et pentus de sa Belgique rurale : il y a tourné une fiction, il y a observé les mutations culturelles, c'est cette fois-ci aux dangers de la mondialisation galopante sur la paysannerie qu'il s'intéresse, fabriquant un documentaire qui cache sous son calme apparent une colère de syndicaliste. Il faut dire que les lois sur les quotas laitiers étranglent de plus en plus nos braves éleveurs, contraints la plupart du temps de travailler à perte dans des fermes plus adaptées, étranglés par les normes européennes et le libre-échange, piétinés par les grandes surfaces qui ne leur laissent que leur neige à manger. Andrien arpente dans un premier temps le territoire à la recherche de la parole de ces paysans mourants, pointant la dichotomie qui se dessine entre le travail à l'ancienne de ces gens d'un autre siècle et le monde moderne qui les broie. Témoignages en plan fixe, simples, longs, où on a tout le temps de scruter sur les visages le désarroi voire la dépression qui pointent. La plupart des témoins sont des vieux, regrettant le temps passé, pestant contre leur impuissance, soucieux du futur, et 9 fois sur 10 les larmes affleurent à leurs yeux.

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Maudite société contemporaine, disent-ils, et le film ne fait qu'enregistrer ça... comme l'ont fait, malheureusement souvent en beaucoup mieux, nombre de documentaristes depuis pas mal d'années. C'est là que le bât blesse : malgré sa sincérité et son empathie, Andrien arrive après la bataille, et réalise un film qui court désespérément après les autres. On pense surtout à la trilogie de Depardon, que le film voudrait bien rattraper : le long travelling avant de l'ouverture du film, pris depuis une voiture qui entre dans le territoire, s'il renvoie à celui du Grand Paysage d'Alexis Droeven, rappelle surtout ceux de Profils Paysans, et en constitue même un flagrant plagiat. La parole des gusses, trop longue, trop nostalgique, n'est pas du tout à la hauteur de celle puissante "montrée" plus que filmée par Depardon. Le film souffre trop souvent de la comparaison : d'un côté un génie qui travaille sur l'évocation, l'incarnation, de l'autre un bon faiseur qui ne sait qu'enregistrer le verbe, sans regard, sans idée.

Il-a-plu-sur-le-grand-paysage

La deuxième partie est un peu mieux : après ces témoignages, Andrien saisit son mégaphone et va filmer les AG de syndicats paysans, où la colère monte, où le ras le bol se transforme peu à peu en action. La meilleure séquence arrive alors : une manifestation de producteurs qui déversent des milliers de litres de lait dans les champs, dans un acte de sacrifice désespéré. Là, on voit l'effet de la misère et de la colère sur les visages, on mesure l'état moral de ces gens. Une vue d'hélicoptère élargit magnifiquement le champ, faisant subitement sortir le film de son minuscule territoire (image qui n'est pas d'Andrien, mais issue d'un reportage télé, quand même terrible que le meilleur plan du film ne soit pas de son auteur). Les témoignages sont plus jeunes, montrent une résistance de la part de la nouvelle génération, offre même un vague espoir. Au milieu de cette parole un peu ennuyeuse et répétitive, assez pauvrement filmée, restent les quelques plans magnifiques sur la paisible nature : des vaches, des vaches et des vaches, cadrées dans des pâturages mangés par la brume, la pluie ou la neige, devant des profondeurs de champ parfaites. Ces belles scènes lentes et majestueuses donnent une idée de ce qu'aurait pu être le film si Andrien s'était contenté de regarder les choses ; son indignation, même juste, gâche l'essentiel de la chose, car il ne sait pas quoi en faire. Le quatrième volet, hypothétique à l'heure où j'écris ce brillant papier, sera-t-il celui de la simple contemplation ?

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