Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 février 2018

LIVRE : Cette Putain si distinguée (Esta Puta tan distinguida) de Juan Marsé - 2016

9782267030624,0-4655260Retour à la littérature contemporaine avec ce roman espagnol très élégant. Sous des allures de polar politique à la Costa-Gavras, Marsé raconte les affres de la création pour un écrivain ambitieux contraint de s'adapter à la vulgarité de la vie. Le gars a en effet à son actif quelques romans, son ambition est définitivement d'oeuvrer pour les Belles Lettres, mais le voilà qui obéit à une commande de cinéma : faire le premier traitement d'un scénario qui concerne un vieux fait divers, un projectionniste qui a étranglé une pute dans sa cabine de projection en 1949. Le type se souvient du meurtre, mais, à force de pilules (et de méthode pour le faire taire ?) a oublié le motif du crime. L'écrivain va donc enquêter sur cet homme, sur sa victime pour tenter de mettre à jour les rouages de cette folie passagère. Mais ses commanditaires sont moins scrupuleux que lui : passant d'une ex-gloire de la réalisation, très branché politique, à un metteur en scène peu scrupuleux qui fait des films érotiques kitchs, le narrateur navigue à vue, tentant d'écrire un script valable et juste dans un monde de requins qui ne lui demande que de faire du succès, d'y mettre une pincée de cul et de violence, et de ne pas s'embarrasser de vérité. Aussi, quand notre héros mettra enfin le doigt sur le coeur du problème, il se heurtera aux contingences du cinéma de divertissement, qui n'en aura que foutre.

Joli sujet, qui donne de très bonnes pages sur le cinéma, et sur la vérité. Le texte est entrecoupé de bribes du scénario en train de s'écrire, et on sent que le truc pourrait devenir un bon film, intelligent, riche. L'écrivain choisit des angles originaux, des points de vue personnels, et a le sens du détail, de la scène. Mais tous ses efforts sont arrêtés par les coups de fil de producteurs, qui détruisent ses ambitions formelles et le ramènent à la réalité : il faut faire du succès. Les conversations avec l'assassin sont également fascinantes, dans ce troublant rapport entre écoutant et écouté, rapport auquel il faut ajouter ce très beau personnage de femme de ménage, femme secrète et bizarre qui apporte son grain de sable à la belle mécanique. Le livre parle avec subtilité du sens de la littérature, à travers le travail un peu vain de cet homme qui sait que ce qu'il tente patiemment d'extraire sera voué à la disparition. Marsé use d'une langue assez savante, très mesurée, faite de longues phrases à la ponctuation précise, qui ont l'air de vous perdre mais qui vous rattrapent au dernier moment. Une langue à l'ancienne, quoi, érudite juste ce qu'il faut, gentiment désuète parfois, habilement mêlée d'humour et de suspense. Le roman est très agréable, pas de doute, et sait aussi parler en creux de politique (les années Franco), de social (l'intéressant personnage de la prostituée) et de cinéma. Bien, bien, bien.

Commentaires
Derniers commentaires