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Shangols
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10 mars 2017

Sieranevada (2016) de Cristi Puiu

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Décidément, après l'excellent La Mort de Dante Lazarescu, le gars Cristi Puiu m'emballe une nouvelle fois. Sieranevada est un "simple" repas de famille organisé à la mort du patriarche où tout le monde se retrouve et où, quel que soit le sujet de discussion lancé, personne n'est d'accord. Les attentats du 11 septembre ? Il y en aura toujours un pour crier au complot, un pour défendre la thèse officielle et un autre pour dire que tout cela n'est pas aussi simple. Les attentats de Charlie Hebdo ? Comment expliquer que la tête du flic tué à bout portant avec une kalachnikov n'ait pas explosé, hein, pourquoi ? Entre celui qui passe ses nuits sur internet pour traquer la petite bête, celui qui se fait caustique par excès et celui qui a sa petite explication personnelle, il est clair que chaque échange ne peut se révéler qu'une source d'embrouilles, une façon de faire monter la tension... Des exemples comme ceux-ci on pourrait en prendre à la pelle, qu'il s'agisse des discussions entre frères (ennemis), des discussions entre génération (sur le communisme, l’histoire de la Roumanie...), ou de soulever des lièvres sur les tromperies multiples d'un des leurs : ça se chamaille, ça ricane, ça fait du mauvais esprit, ça s'engueule, ça pleure, jamais la comédie dramatique roumaine n'a été aussi proche de la pure tradition cinématographique tragico-comique italienne. On est à cent lieues de son propre environnement et on reconnaît pourtant parfaitement chacun des membres de cette famille qui font d'un repas de famille traditionnel un véritable western.

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On ne sait plus trop si on doit louer la mise en scène dans ce décor minimaliste d'un appartement (avec cette caméra qui ne cesse de tourner dans le hall pour guêter ce qui se cache, ce qui se trame derrière chaque porte (un drame, une engueulade, une malade...) ou la simple direction d’acteurs ; si, comme le disait subtilement l'ami Blier "un claquement de porte fait bander", alors il y a de fortes chances pour que chaque spectateur reste en érection pendant 2h45. Avouons-le, le conflit familial, même dans ces aspects parfois les plus glauques (le gars Tony en prend pour son grade par rapport à ses infidélités), a quelque chose de jouissif : chacun, les nerfs à vif, met ses couilles sur le billot pour défendre sa position, comme si chacun se devait d'être au top de sa réputation - et forcément, ça part magnifiquement en vrille, pour cesser d'employer autant que faire se peut, un vocabulaire un peu vulgaire et tendancieux. Mais revenons-en à cette caméra qui se contente souvent de pannoter d'une pièce à l'autre avant de choisir, semble-t-il au hasard, derrière une porte, la discussion la plus juteuse : tout est réglé au millimètre sous les apparences d’une situation quasi documentaire. Le ballet des comédiens est superbement réglé dans cet espace ultra-exiguë que Puiu parvient à exploiter à la perfection : chacun voudrait se fuir, s'échapper, mais se retrouve comme par la force des choses, dans la même pièce que la personne qu'elle exècre le plus ; d'où étincelles, règlements de compte, coup de gueule, pleurs - c'est réglé comme du papier à musique et cet aspect quasi systématique sonne malheureusement terriblement vrai, ultra réaliste, comme si chacun était arrivé avec son propre linge, sale depuis des siècle.

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On admire également le jeu de chacun des personnages là encore plus vrai que nature ; notre sympathie (en tout cas la mienne) va forcément vers le barbu qui se marre de tout, tente à chaque fois de rebondir avec une petite pique mais qui ne sera malheureusement dans l'histoire pas le dernier à morfler. Avec son petit air de ne pas y toucher, il semble prendre la situation avec une certaine hauteur ; seulement, une fois qu'il mettra les mains dans le cambouis de sa propre vie, de ses propres émotions, cela risque tout autant de lui exploser à la gueule - comme si Puiu tenait finalement à montrer que personne, quels que soient les grands airs qu'il prend, ne peut sortir indemne de ces réunions familiales. Il y a certes moult occasions d'en rire (le costume trop grand : hilarant et pathétique) et ce sera d'ailleurs dans un éclat de rire que finira cette "partie". Mais ne nous y trompons point, derrière cette ultime occasion de se lâcher, se cache en chacun d'énormes tourments intérieurs pas toujours difficiles à avouer (et encore moins dans ces circonstances). C'est cette capacité à faire éclore le côté sombre de chacun, lors de ce "banale" repas familiale, qui fait toute la force de cette oeuvre et de ce cinéaste expert pour révéler en un tour de main, en une petite tournure de dialogues et un petit tour de caméra toute l'âme humaine – et en creux, tout l’état d’esprit d’un pays. Immanquable.   

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