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18 avril 2015

LIVRE : Le Bateau-Usine (Kanikōsen) de Takiji Kobayashi - 1929

9782844859617,0-2499248Il faisait pas bon dire la vérité sur les conditions de vie des travailleurs japonais dans les années 20 : Kobayashi a payé de sa vie la parution de ce roman-pamphlet qui nous fait partager l'enfer de l'équipage d'un bateau-usine, une centaine d'individus, ramassis de clochards, chomeurs, étudiants ruinés et autres miteux, embarquée pour une pêche aux crabes absolument dantesque en mer d'Okhotsk. Non seulement la météo n'est pas des plus riantes, mais en plus le traitement qu'on inflige à ces gueux et réprouvés de la société est infâme : aux ordres d'un contremaître aussi sadique que brutal, frappés par des maladies toutes plus gores les unes que les autres, condamnés à manger une bouffe immonde, traités comme des chiens, leurs conditions de travail ressemblent un peu à l'enfer sur terre et sur mer. Le roman, indigné mais d'un calme glaçant, va raconter cette aventure, la lente révolte qui monte dans le coeur de chacun, la mutinerie, les petites lâchetés ou les grands espoirs, dans une sorte de réécriture de Souvenirs de la maison des Morts en mer glacée et en japonais. Kobayashi peut se rapprocher des grands romanciers de l'inhumanité, les Soljenitsyne, les Dostoïevski, les Gorki, les Levi : son bateau ressemble peu à peu, comme pour le Goulag ou les camps de concentration, à un état de la société dans son entier, avec sa hiérarchie, sa lutte des classes, et l'éternelle domination des nantis contre les prolos. On plonge au coeur de ce bateau comme au fond de l'âme humaine, et le livre se fait autant documentaire édifiant qu'analyse politique et sociale. Délibérément du côté des opprimés, mais aussi franchement moqueur devant leur asservissement, le roman est réellement en colère, et se veut comme une oeuvre d'utilité publique, voire de propagande : les très belles pages qui voient la naissance de la rébellion au sein de cette communauté disparate d'esclaves ont la puissance des grands discours humanistes de jadis.

Mais, comme si le roman n'était pas assez puissant comme ça, Kobayashi lui adjoint en plus quelques pages splendides sur la nature, sur la mer, sur les descriptions de l'océan déchaîné, des tempêtes, etc. Le Japonais rappelle alors quelques grands auteurs de la Marine, Melville par exemple : comme eux, il sait parfaitement rendre compte de la grandeur de la nature, de sa dangerosité, de sa beauté, et de la petitesse des hommes en son sein. Merveilleusement rythmé entre moments de violence tragiques et grandes plages de calme, le livre vous emporte dans un souffle puissant. Dommage qu'il prenne des airs d'inachevé sur la fin, étrangement résumée à quelques lignes, comme si l'auteur avait laissé tomber en cours de route, pressé de vivre sa très courte vie. Un grand hymne, moitié dégoût moitié admiration, à l'Humanité, un grand livre.

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