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7 janvier 2014

LIVRE : Vareuse-Blanche (White Jacket) d'Herman Melville - 1850

melville-vareuse-blanche-pleiadeConsigne du jour : hissez la grande vergue sous le cacatois d'artimon, fiers gaillards, et si le foc ne nous saborde pas sous les vents arrière, souquez les hautbans en amure. Moi non plus je comprends rien à ce vocabulaire de marine, mais qu'est-ce que vous voulez, quand c'est le grand Melville qui les écrit, il a tout de suite cette aura unique, et vous voilà immédiatement plongé dans l'évasion pure. Vareuse-Blanche, c'est le récit véridique (mais on soupçonne le gars d'y avoir mélé aussi des anecdotes rapportées) d'un voyage qu'il fit sur un navire de guerre entre San Francisco et New-York en passant par le Cap Horn et le Brésil. Documentaire plus que roman, il s'évertue à dresser de manière exhaustive tout ce qu'on peut dire d'une telle escapade : quotidien sur un bateau peuplé de 500 hommes, hiérarchie, rituels, punitions, description de chaque personnage important, petites anecdotes et tragédies, tout y passe, si bien qu'on a l'impression d'être sans cesse avec le narrateur. Impression d'autant plus étrange que lui-même opère un très habile aller-retour entre présence (acteur important de l'action) et absence (narrateur extérieur, posé sur une vergue ou dans un coin). Dès le départ, la vareuse immaculée dont il s'habille en fait un point visible sans arrêt, mais il joue avec finesse sur son statut de simple observateur objectif.

Et de l'observation il y en a, chaque parcelle de l'immense navire est décrite, rendue vivante par une écriture extrêmement dynamique et joyeuse. On pourrait penser que 700 pages de description d'un navire de guerre pourraient lasser ; que nenni, c'est au contraire passionnant, simplement parce que le style de Melville, tour à tour lyrique (jusqu'à l'auto-ironie) et implacable, poétique et factuel, emporte tout sur son passage et rend concret chaque détail relaté. On voit littéralement sortir des pages ces marins patibulaires, ces commodores vaniteux ou ces forts caractères (le chirurgien de bord, mon préféré). Le livre est d'ailleurs superbement symbolique : on comprend dès le départ que ce que veut décrire Melville avec ce bateau, c'est un monde dans son entier, les 500 passagers représentant en quelque sorte un pays, une ville, voire une planète entière (le dernier chapitre, cosmique, est une superbe allégorie du destin des hommes à travers la course d'un bateau). La spécificité de ce monde dans le monde, c'est pourtant les différences flagrantes entre les lois terrestres et les lois maritimes. L'occasion pour Melville de se livrer à de vibrants plaidoyers démocratiques sur l'iniquité de la hiérarchie militaire en mer : pages condamnant l'usage du fouet ou la peine de mort, raillerie sur les vanités pathétiques des supérieurs, rappel des lois point par point, Melville est ici le héros méchamment gauchisant du petit peuple, se rangeant avec rage du côté des plus faibles contre les plus forts. Du coup, ce voyage en mer devient un pamphlet pour l'égalité des hommes, pauvres et riches, Noirs et Blancs, vieux et jeunes, et ça ajoute au souffle puissant du récit. Tout ça sans jamais oublier un humour ironique du meilleur effet et quelques envolées poétiques érudites qui vous clouent sur place. Un vrai grand beau livre de marin, qui annonce déjà le chef-d'oeuvree ultime (Moby Dick). J'en reprendrais bien une vague dans la gueule. En attendant, harguez moi donc ce timon de poupe dans les hautbans du cacatois.

Commentaires
C
AAAh, c'est en lisant "Deux années sur le gaillard d'avant" de Richard Henry Dana que j'ai appris ce joli mot qu'est cacatois. ça me fait tout drôle de le relire :D
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