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3 avril 2024

LIVRE : Les Contes de la Véranda (The Piazza Tales) d'Herman Melville - 1856

Un bonheur de retrouver l'écriture si dynamique, si dépaysante, si savante, si raffinée de notre ami Herman Melville, qui fait office de bain de jouvence au milieu des lectures de bouquins contemporains faisandés et 40000 fois plus vieux que les siens. Ce recueil très éclectique de 6 nouvelles vous fait passer de délices en plaisirs, et on ne saurait retirer une seule ligne de ces contes parfaits, aussi distrayants que profonds : du grand voyage, de la farce, du conte macabre, de l'observation naturaliste, on passe par toutes les inspirations du sieur, si bien qu'on peut considérer que Les Contes de la Véranda est un condensé de toute son oeuvre.

 

Ça commence tout doux avec The Piazza, sorte d'introduction zen et légèrement fantastique au livre : Melville, en racontant son retrait à la campagne et la nouvelle véranda qu'il s'offre, peut laisser libre cours à toute l'étendue de son vocabulaire quand il s'agit de décrire la nature. Même en traduction, on est frappé par le raffinement de cette prose (que le bougre pousse jusqu'à une certaine préciosité), par son lyrisme naturaliste et son érudition aussi bien de la langue que du monde qui l'entoure. Après cet apéritif, on est chauds pour entamer LE grand chef-d’œuvre du recueil :  Bartleby the Scrivener (déjà commenté par mon gars Shang ici). Critique de la lenteur de l'administration ? Glorification de la révolte sans violence ? Description de la force d'inertie qui gagne certains petits fonctionnaires ? Essai sur la lutte des classes ? On ne sait pas exactement ce que Melville a voulu faire avec son petit personnage sans envergure qui "would prefer not", mais il invente là, dans ces quelques pages, un être mythique, symbole du refus de travailler autant que de la mollesse passive, tout en écrivant un conte drolatique et passionnant. On est là dans un des sommets de l'auteur, aucun doute.

 

On est ensuite dans un terrain plus connu chez Melville avec Benito Cereno, court roman de marine dont l'auteur de Moby Dick a le secret. Parfaitement construit, il vous fait croire pendant un bon tiers à une histoire avant de vous la démonter dans le dernier tiers. Cette nouvelle est dotée d'un excellent suspense, et d'un talent indéniable pour relever les détails d'une situation : c'est par eux que le mystère sera levé, par eux que monte cette tension étrange, par eux que l'écriture devient un trésor de double-sens. Melville y montre par ailleurs une vraie sensibilité "de gauche" : même si le tout est encore bien marqué par un racisme latent, habituel pour l'époque, on note quand même qu'il y est question d'une révolte d'esclaves, et que les Noirs y sont bien plus malins que dans les romans de ces années-là. Après une petite récréation sans vraie envergure, mais assez drôle (The Lightning-Rod Man), on passe à une belle série de petits textes, groupés sous le titre The Encantadas, or Enchanted Isles, fascinante suite de descriptions, d'anecdotes, de faits historiques, d'observations entomologique, concernant les Galapagos et leur réputation d'îles enchantées. On est ici dans la veine Typee / Oomo, c'est-à-dire dans le style documentaire, que Melville sait toujours doper par son sens de l'aventure et du conte : dépaysement assuré, j'avais des embruns sur mes lunettes. On termine sur un conte macabre que n'aurait pas renié Hoffmann, The Bell-Tower, l'histoire d'un minaret qui devient une obsession pour son architecte, et pour lequel il finira par donner sa vie, illustration de la vanité humaine d'une belle noirceur. Au bout de ces histoires toutes captivantes, on referme le livre avec regret, en lorgnant vers les autres livres de Melville avec l'envie irrésistible de ne plus lire que ça...

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