Le Fantôme de l’Opéra (Phantom of the Opera) (1925) de Rupert Julian
Voilà longtemps que je n'avais point remis les pieds dans le muet ce qui est pourtant bien pratique quand on a en voisin de chambrée un bébé. Phantom of the Opera est littéralement à couper le souffle (première fois que l'on a un commentaire avant même d'écrire une chronique... une erreur de manip, ça arrive...) pour ne pas dire à casser la voix. J'ai dès le départ adoré ce plan sur ce chat noir qui descend un escalier et ces ptits rats de l'opéra qui arrivent comme des ptites souris (...) toute effarouchées après avoir aperçu la fameuse ombre du fantôme - dont Hitchcock s'inspirera, c'est évident... Le fantôme erre dans les couloirs et sera à la croisée des chemins entre le mythe des vampires (sa couche), de Faust (la pièce que l'on joue, le pacte qu'il veut sceller avec Daaé, les intrus qu'il veut brûler comme dans les enfers...), ou encore de Don Juan (la pièce jouée au piano) avant d'être victime de la vindicte populaire. Le film est magnifiquement rythmé (une ou deux scènes un peu étirées inutilement, maybe, mais ne jouons pas les obséquieux) et nous gratifie de plusieurs séquences d'anthologie.
Il ne demeure malheureusement plus qu'une séquence tournée en couleur mais celle-ci est proprement magique. Il y a quelque chose dans "l'apesanteur" de ce bal costumé à l'opéra qui m'a plusieurs fois fait penser à certaines scènes d'Eyes Wide Shut : la façon dont les couples se lient, la beauté des costumes, la magnifique mise en "mouvement" de la séquence... Et puis il y a ce squelette tout de rouge vêtu qui fait s'écarter les gens comme s'il s'agissait de la peste (dés)incarnée. Un froid, l'effroi passent. Cela n'empêche point notre petit couple, Raoul et Christine, d'aller sur les toits pour roucouler en paix... à cela près qu'ils sont toujours espionnés par ce spectre perché sur une statue et dont la cape flotte magnifiquement au vent. Lon Chaney coule son regard le plus démoniaque, l'homme aux mille visages a encore frappé et marqué de son sceau un des summums des films d'horreur.
Gaston Leroux aime les cachettes, les trappes et les passages secrets et Julian nous en donne pour notre argent pour nous amener dans les lieux les plus secrets du sous-Paris. Miroir qui s'ouvre, canaux d'égout vénitiens, sombres murs derrière lesquels se cachent des chambres de princesse (toujours eu un faible pour les lits en forme de bateau... Polanski aussi mais passons...)... Notre fantôme se rit de se jouer autant des simples mortels (j'adore lorsque Chaney, décidément en grande forme, se déguise en sous-marin !), s'improvise maître-chanteur (ohoh) pour faire craquer la pauvre Christine (qui préfèrerait s'arracher la langue avec deux doigts plutôt que de lui donner un baiser) mais notre homme va finir par déchanter lorsqu'une foule en furie armée de torches va finir par le débusquer. Une course poursuite échevelée s'engage et notre petit musée des horreurs à lui tout seul va être trahi par sa "barouche" (j'apprends des mots tous les jours...). Une foule éructant (pendant que le Raoul, jolie petite parenthèse romantique, se penche sur sa douce) et sans doute encore plus dangereuse que ce monstre (no comment) va pousser ce dernier dans les sombres eaux parisiennes. Un mythe - cinématographique - est né et Chaney (et les sublimes décors, et la mise en scène, et le montage...) peuvent être loués. A peine une ridule ici ou là et encore c'est à cause de l'état de la pellicule... Envoûtant.