La Soirée (1961) de Jean Eustache - inachevé
Allez, c'est mon anniv' et c'est ma tournée. Voici donc (courbette respectueuse, amis de KG) le premier film inachevé du grand Eustache. Comme il n'y a pas de bande-son (attendez, ne rêvez pas non plus), on est prêt à croire sur parole ce qu'en disent Les Cahiers « Un homme invite des amis, pour leur donner lecture d'un texte sur le cinéma dont il est l'auteur et qui vient d'être publié. On pense qu'il s'agit de « Vivre le film », l'article publié par Jean-Louis Comolli dans les "Cahiers". L'ambiance a quelque chose de très Nouvelle Vague ». Ouais. Cet objet guère identifiable serait librement inspiré d'une nouvelle de Maupassant et vous pourrez retrouver sur les divers photogrammes - vous remarquerez que pour l'occasion, je ne suis pas rat - Paul Vecchiali ou André S. Labarthe. Un appart en duplex, un couple qui baisouille (bien jolis gros plans de baisers, faut savoir s'accrocher à la moindre parcelle cinématographique excitante) quand les autres ne sont point là : oups, les voilà qui rappliquent, allez hop on change d'étage (c'est the gag de la chose qui dure tout de même 7 minutes 15), un lecteur, donc, des auditeurs laudatifs ou dubitatifs et une caméra hésitante qui se laisse aller à des panoramiques de folie : pour fougueusement balayer la pièce en captant, au passage, les divers occupants avant de finir sur un tableau ou la fenêtre...
Bon, il serait un peu abusé de dire qu'il y a déjà là-dedans tout le génie de l'apache Eustache. Ceci dit, c'est vrai, sans vouloir paraphraser Les Cahiers, on est indéniablement plus dans une approche New Wave à la Godard vintage que dans le cinéma carré en champ / contre-champ du papy Carné (oui, cela faisait longtemps qu'on n'avait pas relancé nos amis de M.C... C'est juste pour la forme) ; c'est peut-être aussi que le Jean n'avait pas le matos, un pied de caméra devant alors coûter un bras. Pour une trouvaille, c'est une trouvaille, et à défaut de ressentir l'ivresse des grands soirs, on se contentera de savourer cette petite bière (je suis, qui plus est, bêtement, à court de rhum) goûtue et pointue... C'est dans le titre du site, on ne vous prend pas de court. Cheers. (Shang - 25/05/13)
Petite séance de rattrapage des Eustache que je n'ai jamais vus, en commençant par cette petite rareté difficilement critiquable puisque inachevée, privée de son et certainement imparfaite. Une fois lu le formidable livre de Philippe Azoury, il semblerait que ce film, déjà entièrement monté, était destiné à être complété par une deuxième partie, et que le texte lu par Vecchiali était un article de Comolli, le genre de truc voulu comme un manifeste définitif sur l'art du cinéma. Vecchiali détestait ce texte, ni une ni deux, ce pervers d'Eustache le lui fait lire face à ses potes plus ou moins captivés. Que peut-on dire de la chose ? Eh bien que Eustache cherchait encore à gagner des galons au sein de l'équipe des Cahiers ; il lui fallait donc à lui aussi sa soirée entre copains avinés, échangeant concepts philosophiques et pelles roulées aux filles dans une ambiance très parisienne. Le bougre n'est pas encore Rohmer ou Godard, le film est un peu plan-plan, et si on enlève le gag assez poilant sur le couple sans cesse dérangé dans ses manifestations amoureuses, il semblerait bien qu'il n'y ait pas grand chose à tirer de cette première tentative. Ce qu'a dû aussi penser Eustache lui-même, qui s'est désintéressé de ce film avant de passer à un projet beaucoup plus personnel : Du Côté de Robinson. Une rareté, en tout cas. (Gols - 20/07/23)
Il faut que tout s'Eustache : clique