Le Diable au Corps (1947) de Claude Autant-Lara
Ah enfin un chef-d’œuvre d'Autant-Lara sur Shangols. Je plaisante, je suis sous opium. Comme disait grosso modo l'ami Julien, pour savoir qui sont ses amis, il faut connaître ses ennemis... Difficile, après s'être tapé cette bouse moralisatrice, de ne pas à la fois louer les attaques acides de la Nouvelle Vague envers une partie de ses aînés et de ne pas rendre grâce à Dieu de ce que ces jeunes cinéastes passionnés ont apporté au cinéma français. On pourrait dire beaucoup de choses affreuses sur cette version d'Autant-Lara (musique dégoulinante, mise en scène plate, effets lourdingues (roh ces flashs-back avec le son des cloches mis à l'envers...), acteurs en free-lance...) mais ce qui choque finalement le plus c'est la façon avec laquelle celui-ci a complètement dénaturé "l'esprit", la modernité, la sensualité du roman de Radiguet. Rien que pour cela, on a envie de conchier le Claude au delà de l'Enfer. Autant-Lara ne se contente point de nous montrer à quel point Marthe (Micheline Presle) est une menteuse invétérée (c'est mal), François un étudiant écervelé (c'est mal - il passe son temps à rire comme une miss France) et notre jeune couple un défi à l'harmonie (cela fait trop longtemps que je suis en Chine, je choppe des tics) de la société (c'est mal : elle en butte à sa mère (Denise Grey ! - vachement moins cool qu'en grand-mère dans La Boum si je peux me permettre de glisser une référence pointue), lui à ses profs et les deux totalement inconscients par rapport à la guerre - si chez Radiguet cette période constituait pour les jeunes gens "des grandes vacances", Autant-Lara ne peut s'empêcher, lui, d'insister sur le manque total de respect de notre petit couple envers toute sorte d'engagement patriotique...
Mais il y a encore pire, dirai-je, en m'appuyant sur deux petites séquences "au hasard" : lorsque Marthe et François se retrouvent la première fois dans l'appartement d'icelle, François finit par faire une petite crise de jalousie quand il apprend qu'elle a choisi d'acheter le lit qu'il préférait mais qu'il ne peut dormir dedans (réservé bien entendu au mari de Marthe parti sur le front) ; il s'en va, elle tente de le retenir, il revient sur ses pas, il l'embrasse, elle résiste puis cède comme toute jeune femme qui au début dit "oh non" puis finit par craquer devant la puissance du mâle (arrrrrghhhhh !!!!!!!!!!) : c'est non seulement un total contre-sens par rapport à l’œuvre de Radiguet mais c'est surtout faire de Marthe une femme d'un autre siècle ; alors que cette période a permis justement aux jeunes femmes de s'émanciper (en effectuant notamment le travail des hommes absents), que Marthe incarne à la perfection cette soif de liberté, fidèle à ses sentiments et non aux règles imposées par la société, Autant-Lara fait d'elle dans cette scène une figure rapidement "vaincue" par les baisers de ce blanc-bec - une femelle lambda, quoi, comme on en trouve dans tout roman à l'eau de rose - beurk. Une autre séquence confine à la parodie, le réalisateur pouvant se targuer de nous livrer la scène d'amour la plus ratée et la plus faux-cul de toute l'histoire du cinéma : Marthe et François sont au lit, elle lui caresse puis lui embrasse le dos (une demi-seconde de sensualité, mon Dieu, cela en est trop) puis la caméra de passer derrière la tête du lit (le truc ne laisserait pas passer un moustique), la lumière de s'éteindre (! : alors que la scène est déjà hors-champ) et vas-y que je te fixe pendant bien deux minutes le feu de la cheminée (dont les flammes redoublent !!! - je vous jure) alors que la musique, déjà jusque là franchement intolérable, monte de façon infâme en intensité (un lyrisme et surtout un courage qui donneraient presque envie de vomir si on était pas plié en deux de rire...). Le final sur la croix de l’Église (Marthe meurt, elle est punie, c'est bien fait, Dieu a rétabli la balance : c'était mal, putain) est au diapason de ce ton moralisant du Claude qui nique une des œuvres les plus inspirées et audacieuses de son temps. Autant-Lara fait son entrée sur Shangols, au temps pour moi...