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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
10 mars 2011

Ciné-Tracts de Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin, Alain Resnais, Philippe Garrel, Gérard Fromanger, et plein d'autres - 1968

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Pas souvent l'occasion de découvrir ensemble cette quarantaine de petits poèmes colériques réalisés par la bande de cinéastes révolutionnaires de l'époque. A l'instigation, semble-t-il, de Chris Marker, voilà nos camarades cinéastes qui se livrent à de jolis découpages de photos de presse, qu'ils associent à des mot (slogans, poèmes, pensées théoriques sur la lutte des classes) pour en faire une sorte d'équivalent aux tracts et graffitis de l'époque. C'est une merveille de se replonger, 43 ans et quelques désillusions plus tard, dans ces formules indignées, cette poésie immédiate, ces times they are-a-changin et autres doigts d'honneur à la bourgeoisie. Tous ces petits films sont intéressants un par un, mais c'est aussi le fait de les voir fonctionner en interaction l'un avec l'autre qui est agréable. Réussissant le pari de constituer un vrai collectif (aucun film n'est signé), la série ne cesse de se citer d'un épisode à l'autre, reprenant inlassablement les mêmes photos, les mêmes mots d'ordre, en en changeant simplement les rythmes ou les sens pour tenter de dire quelque chose du monde en train de changer.

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Si on s'attache plus particulièrement aux films de Godard (les opus 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 23 et 40 et le mythique n°1968 intitulé "Le Rouge"), on note une vraie personnalité de ceux-ci. Peut-être plus posé dans la forme, mais pour mieux développer une colère excessive qui réjouit, JLG cultive son goût pour le jeu de mots, l'écriture, et les rapports entre texte et image. Si ses collègues sont souvent simplement poètes dans leur façon d'aborder ces films, Godard, lui, est marxisto-maoïsto-brechto-guevariste et vous emmerde. Ses films, beaucoup plus intellectuels que ceux de ses compères, sont pour la plupart bâtis sur le même modèle : on choisit une formule, une pensée, une revendication écrite, et on en égrène chaque mot, patiemment, plan par plan, jusqu'à ce qu'elles apparaissent en entier. Entre chaque carton de texte, une image-choc : lutte entre étudiants et CRS (-SS, c'est un réflexe chez lui), figures de la révolution, graffitis des murs de Paris, et portraits caustiques des ennemis désignés, au premier rang desquels De Gaulle et Malraux, que JLG verrait bien pendus avec les tripes des curés visiblement. Plus inattendu, et vraiment salaud de sa part, ce pauvre François Truffaut apparaît dans l'opus 10 comme archétype de la culture bourgeoise vendue aux ennemis. On reconnaît de toute façon la patte indéniable du Jean-Luc de ces années-là, qui ne recule devant aucune image choc (quitte à prendre des racourcis un peu arbitraires parfois, quand même) pour faire sens : cet homme recroquevillé, abattu sous les coups de matraque imagine-t-on, avec la mention "Cohn-Bendit à Dachau" fait son effet, tout comme ces formules écrites au feutre et disséquées comme les calligrammes d'Apollinaire ("l'art évolution" et autres).

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C'est l'opus 10, décidément qui est le plus intéressant, avec cette adresse véhémente directement au spectateur : "Réfléchissez 10 secondes", puis "Réfléchissez 12 secondes", etc. pour se terminer sur un lyrisme rendu d'autant plus vibrant que le film est muet (comme tous les autres d'ailleurs) : le visage de Mao, suivi du mot espoir qui grandit est comme un coup de cymbales. Mais Godard et ses amis ne cessent jamais, de toute façon, de manier un lyrisme poétique d'un bel effet, envoyant des formules comme : "Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine", "les forces de l'ordre ont toujours des liens de sang avec le désordre sexuel", "Regardez les choses en face toute votre vie si vous ne voulez pas êre enculés par la culture bourgeoise" ou "Laissez-moi vous dire, au risque de paraître ridicule, que le révolutionnaire véritable est guidé par des grands sentiments d'amour". JLG détourne à qui mieux mieux les images de presse pour en faire des insultes frontales (de Gaulle, une croix gammée sur le front), et regarde avec un émerveillement évident toutes ces photos d'étudiants et d'ouvriers bloquant les usines, levant le poing et défilant en défiant les flics casqués. Le matériau est précieux, et ces ciné-tracts fonctionnent avant tout, aujourd'hui, comme témoins de l'époque.

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Et puis il y a ce dernier film, donc, "Le Rouge", seul film en couleurs de la série, qui ne fonctionne pas du tout sur le même principe : Godard filme une oeuvre du peintre Gérard Fromanger, consistant en un drapeau français dont le rouge dégouline peu à peu sur les autres couleurs, dans un message certes direct mais ma foi encore plus efficace que les 40 courts-métrages qui l'ont précédé. Le silence, un, plan unique en zoom arrière, la couleur qui grandit : on touche à la simplicité même du cinéma. C'est peut-être le film le plus "compréhensible" du JLG révolutionnaire, et celui qui le fait toucher de plus près à son objectif : prouver que le cinéma est l'affaire de tous, que "la culture est l'inversion de la vie", amener le film à l'intérieur des usines, disparaître derrière le message. Belle et rare découverte au final, qui témoigne de façon unique, poétique et violente de ce que fut cette année 1968 maintenant oubliée.

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God-Art, le culte : clique
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