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26 avril 2010

Poil de Carotte de Julien Duvivier - 1925

vlcsnap_2010_04_26_22h03m46s244Voilà une magnifique adaptation du troublant roman de Jules Renard, qui en respecte les grandes lignes tout en le pervertissant sans complexe, notament en le faisant verser dans une noirceur de bon aloi. Le savoir-faire de Duvivier force le respect : il semble au fait de toute la grammaire du cinéma muet, jouant des rythmes, du montage, des trucages, des acteurs avec une virtuosité qui n'étouffe jamais le sujet. La mise en scène est spectaculaire avec discrétion, ménageant ses effets avec énormément de modestie. Et les effets, il y en a pourtant à la pelle, tous intéressants, tous bluffants d'invention. Duvivier semble surtout fan de surimpressions, et multiplie les effets spéciaux toujours à bon escient : un père préoccupé par le malheur de son fils, et qui l'imagine partout autour de lui en train de trimer, et c'est alors 7 ou 8 Poil de Carotte qui l'entourent ; le petit garçon qui revoit sa vie en accéléré, et c'est plusieurs plans du film qui réapparaissent sur son visage douloureux ; un homme gavé par les commérages incessants de sa femme, et c'est un gros plan de celle-ci qui vient strictement envahir le décor en surimpression ; un jeune homme amoureux, et c'est le visage de sa bien-aimée qui apparaît dans tous les coins de la nature... Il y a comme ça des dizaines d'utilisation différentes de cet effet, qui amuse visiblement beaucoup le cinéaste et donne une touche vraiment profonde à cette histoire faussement légère.

vlcsnap_2010_04_26_21h30m20s159Mais en plus de ces trucages purement cinématographiques, Duvivier sait aussi utiliser les vieilles ficelles théâtrales : la plus belle idée est une longue scène de dispute familiale, où tous les membres sont réunis dans le mensonge et le faux-semblant. On voit alors se déployer tout un jeu de miroirs qui s'ouvrent et se referment pour mettre à jour les regards de l'un vers l'autre, les yeux qui se cherchent ou se fuient, les rapports de chaque personnage avec les autres. Artificiel, cet effet est pourtant magnifique dans sa naïveté et dans l'atmosphère qu'il instaure : c'est pas grand-chose, un miroir, mais ça suffit pour décliner toute une musique de mise en scène au sein d'un seul décor aux possibilités restreintes (une pièce, une table, quelques chaises, point). Cette séquence est quasi-wellesienne dans sa tentative d'éviter le montage, la coupe, tout en usant du champ/contre-champ : en 1925, Duvivier avait déjà le fantasme du plan-séquence et de la profondeur de champ. Son montage plus traditionnel est d'ailleurs tout autant virtuose, maîtrisant les rythmes à la perfection : si un personnage commence un geste furtif, on prend le temps de nous montrer deux autres plans de coupe sur la réaction des autres, avant de revenir à la fin du geste ; ça pourrait ralentir exagérément le film, c'est juste limpide et audacieux.

vlcsnap_2010_04_26_21h23m29s136Bref : Poil de Carotte est beau. Fascinant à regarder y compris dans ses séquences anodines. Quant au scénario, il laisse pleinement s'exprimer la noirceur de Jules Renard, mais tente aussi de lui donner du "liant", de le faire sortir de la simple succession d'épisodes. Si les rajouts concernant les amourettes du fils aîné sont assez ratées et inutiles, la progression du personnage principal est magnifiquement gérée : Poil de Carotte y apparaît comme l'ancêtre de Doinel, archétype de l'enfance brisée. Le film va très loin dans la brutalité qu'on impose à ce pauvre môme, et Duvivier ne fuit devant aucun plan : on ira (presque) jusqu'au suicide de l'enfant, filmé dans la longueur et en gros plan (le plan terrible de Poil de Carotte avec une corde autour du cou). Madame Lepic est absolument immonde (ils lui ont collé une moustache un poil too much, le jeu hyper-expressif de Charlotte Barbier-Krauss aurait suffi), ses mômes sont pire encore, et Henry Krauss compose un Mr Lepic subtil et touchant. Le film dit des choses sur l'enfance, tranquillement, et préfère souvent la noirceur à la facile comédie. Un petit chef-d'oeuvre au final, dont Duvivier réalisera un remake parlant quelques années plus tard.

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