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12 mars 2009

Sicilia ! de Jean-Marie Straub & Danièle Huillet - 1998

sicilia2Sicilia ! est bien entendu un film tout en rigueur et en épure, mais pour le coup les Straub parviennent avec leur dispositif janséniste habituel à faire éclater dans ce film une magnifique beauté et un sentiment très chaleureux de vie. Peu de différences pourtant avec leurs films ardus et (avouons-le) assez chiants : du cadre fixe, une façon de balancer le texte très à distance, des personnages très immobiles, à priori rien qui déclenche la joie. Mais avec Sicilia !, on sent pleinement tout le projet des Straub depuis leurs débuts : inscrire une parole dans un temps et dans un paysage, simplement, dans une totale confiance dans les mots et dans la force du cinéma comme outil d'enregistrement pur.

Pour tout dire, c'est presque gai. On assiste au voyage d'un Sicilien expatrié, revenant des USA pour retrouver son île. Il croise plusieurs personnages (un marchand d'oranges, quelques réacs, un rémouleur, un sicilia22intellectuel désabusé), mais surtout il retrouve sa mère pour une petite mise au point saignante sur son père. Les tableaux se succèdent donc, de longueur inégale, avec à chaque fois une nouvelle proposition de mise en scène : de la séquence première sur le port, sublimement cadrée avec ces personnages pris de dos ou de trois-quart, découpée en trois ou quatre plans simples, on passe à quelques scènes dans un train, où tout en conservant leur dispositif de plans fixes les Straub enregistre le paysage en mouvement derrière la fenêtre. Ca n'a l'air de rien, mais ce seul mouvement extérieur va déclencher toute une nouvelle grammaire de filmage pour la suite du film.

C'est que les Straub semblent passionnés par la Sicile, par ses habitants d'abord, mais aussi par ses paysages. Après cette scène du train (là aussi découpée au millimètre, voilà du champ/contre-champ parfait), ils vont placer leur fameux panoramique, effet aussi attendu dans chaque film du couple que les sic040apparitions d'Hitchcock. Jamais peut-être ce pano n'avait été aussi bien senti : la caméra glisse rapidement le long d'un paysage de collines, traverse un chemin, termine sur un bouquet d'arbres, puis fait ostensiblement demi-tour pour revenir quelques mètres en arrière : la première fois dans une lmière un peu grise, la deuxième (placée juste à la suite) en plein soleil, et la troisième, plus loin dans le film, à nouveau dans le soleil. Un mouvement éminemment beau, qui fait respirer le film par tous ses bords, qui illumine merveilleusement le reste des scènes et fait sortir Sicilia ! de l'austérité.

Austère, le film ne l'est jamais : il est amoureux, solaire, vivant, énergique, souvent drôle, et surtout d'une splendeur totale. Le noir et blanc raffiné, ces quelques plans sur une voie de chemin de fer (grande thématique de cette histoire), ces personnages pris dans toute leur puissance flFl_Illustration_32360physique, ces portraits de Siciliens entre déification et profonde humanité (tentative ratée dans De la Nuée à la Résistance par exemple), tout est admirable dans ce film simple et épuré. Quant au travail sur le son et sur ses inscriptions dans le hors-champ, il marque des points : si la mère raconte à son fils le comportement de son père lors d'un accouchement, on entend juste un bruit d'assiette pour indiquer la réaction effarée du jeune homme ; pareil pour les scènes d'extérieurs, toujours emplies de bruits de vent ou de chants d'oiseaux. La nature est omniprésente tout au long du film, une nature appréhendée frontalement et précisément.

Ajoutons que le texte de Vittorini est autrement plus vivant que celui de Pavese dans les autres films italiens des Straub. Energique et varié, il est pour beaucoup dans le sentiment de plénitude qui se dégage de Sicilia ! : un film de maturité, de retour à l'enfance, de vieux sage, et la plus belle entrée qui soit dans l'univers des Straub si vous ne les connaissez pas encore.

Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez

Commentaires
P
ah j'ai failli tomber de ma chaise mais non !<br /> Ce film (leur film "commercial" !) est splendide, la scène du rémouleur pour ne parler que d'elle, c'est fabuleux non ? Le voyage en train, aussi, est très beau...<br /> (ce film à déjà dix ans ???)<br /> <br /> Je me permets deux 'compléments' : <br /> Chronique d'Anna Magdalena Bach. Un des plus beaux ;<br /> et bien sûr le film de Pedro Costa (Où gît votre sourire enfoui) pour assister au travail de montage d'une version de Sicilia !, c'est vraiment passionnant, et très drôle. <br /> (Précision quant à votre remarque sur le son: le bruit des assiettes n'est pas rajouté, ce serait totalement contradictoire à leur vision du cinéma je crois)
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