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Shangols
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24 août 2007

Une Visite au Louvre de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet - 2003

louvre2

Une vingtaine de plans fixes sur des tableaux, 3 plans "naturels" sur le Louvre vu du pont ou la nature, et emballé c'est pesé, vous obtenez un des plus beaux films sur le mystère de la peinture. Le dispositif, comme toujours chez les deux zigottos, est d'une radicalité insolente, mais le fait est qu'on finit par se rendre compte que c'est bien là le seul moyen, sûrement, de regarder la peinture comme elle doit être regardée, dans la longueur, en un face-à-face sans fioriture.

Mais c'est avant tout par la voix que les Straub nous invitent à appréhender ces tableaux : le film est accompagné d'une lecture âpre et musclée d'un texte de Cézanne commentant les oeuvres accrochées au louvre. Pour lui, c'est la passion contre la beauté froide, Véronèse, Delacroix, Le Tintoret et Courbet contre Ingres et Giotto. Le texte est absolument sublime, furieux, passionné, vivant, audacieux, impoli, écorché ("Qu'on foute le feu au Louvre, si on a peur de ce qui est beau !", s'exclame le gars face à un Courbet oublié dans un sous-sol du musée), et porté on ne peut mieux par cette comédienne mathématique et pourtant extrêmement tendue vers le sens, la beauté du mot. On veut bien retourner au Louvre, si c'est pour une visite guidée aussi sanguine, aussi fascinée, aussi attentionnée et admirative, aussi colèreuse. Les mots de Cézanne, ça ne fait pas un pli, trouvent d'évidentes résonnances avec ceux des réalisateurs sur leur travail et leur façon d'appréhender le cinéma, ce qui rend le film encore plus attachant, plus personnel.

Veronese_The_Marriage_at_Cana

Et puis il y a les cadres : la plupart des tableaux sont filmés dans leurs "dimensions", leur cadre épousant celui de l'écran dans son entier. Mais pour d'autres, plus larges que longs par exemple, les Straub prolongent le cadre (allant par moments à l'encontre même des fuites de lignes de la peinture) pour filmer les murs du musée, dans leur tristesse et leur sécheresse. Grande idée, qui fait brusquement entrer le monde moderne dans cette épure d'érudit d'un autre âge, qui met en balance la fulgurance des couleurs (notamment sur Les Noces de Cana de Véronèse) et la pauvreté de tons du "vrai" monde. La brusque apparition de l'image réelle d'une forêt, à la fin du film, finit par bouleverser, en ce qu'elle est la manifestation d'une filiation rêvée entre les Straub et le Cézanne qu'on vient d'entendre, d'un clan qu'on pourrait appeler "romantisme réaliste", d'une vraie communauté d'artistes érudits et exigeants.

Une Visite au Louvre, film radical, tout en plans fixes et en voix distanciées, est pourtant beaucoup plus vivant et minéral que la plupart des films de bruits et de fureur qu'on nous donne à paître.

rutduprintempscombatdecerfs

Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez

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