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26 octobre 2022

LIVRE : Londres de Louis-Ferdinand Céline - 2022

"Si je suis devenu un peu méchant par la suite, c'est qu'il a bien fallu."

FR-NR-63-be-dc-14466659-1507-1-tsp20221008063017-LondresOn retrouve un manuscrit de Céline qui date d'il y a environ 90 ans (un manuscrit daté aux alentours de 1934, juste après l'écriture du Voyage), c'est proprement un miracle, et certains font déjà la fine bouche !!! Alors oui, je veux bien, on sent que le texte n'a pas été patiné par le maître, il y a des répétitions, parfois, un peu maladroite, les chapitres ne sont pas toujours clairement organisés, les noms sont approximatifs etc... Mais franchement que demande le peuple  ? On a là un texte brut, sans censure (certains passages un poil pornographico-trash n'auraient sûrement pas eu voie au chapitre à l'époque), une œuvre sans doute encore à l'état d'ébauche, ou tout du moins de second brouillon, et cela permet d'autant mieux d'apprécier les fulgurances du maître et son travail (sur d'autres ouvrages) sur l'écriture. En un mot, et pour vite clore cette introduction, même si de petits critiques, la bouche en cul de poule, chichitent sur cette édition établie à leurs yeux de façon un peu rapide, je les invite simplement à lire le dernier Nothomb et à s'excuser ensuite à genoux, en pleurant. Ok ?

Ferdinand est donc à Londres pendant la seconde guerre mondiale, il a une vingtaine d'années. Alors même que Céline y était à la même époque pour bosser à l'ambassade, il endosse ici d'autor les habits d'un salaud, d'une vermine : déserteur, semi-mac, on sent qu'il n'est pas du genre à vouloir présenter son double sous des apparences très favorables. Le reste est à l'avenant : l'entourage de Ferdinand est composé de maquereaux, de prostiputes, de branquignols, d'aristocrates déchus, d'alcoolo, de crapules... Un monde peu reluisant en soi, certes mais sûrement plus intéressant, plus vrai, plus pur en un sens que celui de nos amis les bourgeois, dit-il. Une population en marge, qui tente d'échapper à toute la flicaille du monde, qui tente de survivre malgré tout, en exploitant ses pair(e)s. Un monde violent, un monde dominé par le sexe, un monde sournois, où la mort plus que tout guette. Si vous cherchez un cadeau de Noël pour une ancienne chienne de garde, je vous conseille de faire l'impasse sur ce petit inédit de Céline. Il faut en effet reconnaître que notre homme se surpasse pour évoquer des scènes de poutraillage sexuel et pour faire croire que ces femmes, exploitées, semblent n'en avoir jamais assez. C'est mal, c'est vil, c'est petit. Mais l'amour chez Céline ce ne sont point de doux baisers échangés dans des alcôves, de doux mots échangés au coin de la cheminée, de douces caresses humides du bout de la langue sur les aréoles, mais des étreintes sodomiques qui giclent, des grands coups dans la gueule pour atteindre une jouissance extrême, des ébats cradingues ; on sent là une nouvelle façon d'écrire, d'entrer dans le vif du sujet jusqu'au sang, jusqu'au sperme, une provocation littéraire qui fera de nombreux petits. Une écriture explosive, définitivement, qui aura ses détracteurs académiques, forcément.

Mais les femmes, si elles sont souvent traitées plus bas que terre, reconnaissons-le, sont celles, quoiqu'on en dise, dans ce monde d'hommes idiots, torves, mal dégrossis, grossiers, qui peuvent encore apporter un soupçon de poésie, de joie, de vie. Céline, dont on connaît le sens de la formule lapidaire, transcendante ("Le cul des femmes, c'est comme le ciel, ni commencement ni fin." Qu'en pensez-vous, personnellement ? je tiens mon sujet pour le brevet blanc de cette année), finit toujours par parler des femmes de façon un rien extatique, même si là encore, il ne peut s'empêcher de cacher son jeu derrière quelques petites vacheries grossières."(Maë) se détend tout entière devant (Borokrom), s'étire encore exprès, bien exprès la garce. Y a pas une faute, c'est mieux que du parfait, y a des choses qu'on aurait pas cru possible dans sa perfection d'être excitante. On n'est plus rien du tout devant, on se laisse aller, on n'existe plus, on abandonne presque sa vie tellement elle est belle." La femme, le devenir de l'homme.

Du sexe, mais aussi quelques scènes violentes d'anthologie (une guerre de crachats, une mise à mort sanglante entre flics et voyous...), de pures scènes d'amitié (cela fera grincer des dents mais le plus beau portrait ici est celui d'un médecin juif qui donnera d'ailleurs la vocation au héros... Cela n'excuse pas tout, je ne dis pas le contraire pour autant, hein, mais tout de même) et ce sentiment d'assister ici à une époque aux allures de grand bordel à ciel ouvert où chacun, finalement, séparément, tente de faire un petit bout de chemin sans finir sur un champ de bataille, en prison, ou tout simplement sous forme de cadavre. On a ici en effet, disais-je, souvent l'impression d'un premier jet, comme un crachat balancé à la face de cette terre si odieuse, si violente, si foutraque. Et on se régale devant cette écriture unique tout en ayant conscience, forcément, que l'écrivain n'a pas eu l'opportunité de retravailler la chose. Cela n'empêche pas quelques belles fulgurances ("Faudrait bien que je vous donne ici l'impression du paysage. C'était surtout la question de brumes fragiles, libres, qui passaient comme des danseuses pressées à la surface des eaux, en leurs voiles comme un miroir mouillé".) et le plaisir qu'on prend à découvrir cet écrit que l'on pensait définitivement perdu de l'un des deux plus grands écrivains du XXème siècle. LFD CQFD.

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