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26 janvier 2024

Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania - 2023

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Celui-là nous avait échappé l'an passé, et ç'eut été dommage de passer complètement à côté, car voici un documentaire d'une grande force, émotionnelle et formelle. Olfa est une mère tunisienne, entendez une femme dure et sans quartier, élevant seule ses quatre filles après la mort de son mari. Elle les aime, ses gamines, mais quand il faut taper, quand la morale est en jeu, quand les voisins peuvent jaser, elle devient une matrone. Ajoutez à ça un deuxième compagnon qui aurait tendance à reluquer d'un peu trop près l'aînée, un contexte politique tendu, la religion qui s'invite plus souvent qu'à son tour dans ce foyer, et vous sentez bien que le drame n'est pas loin : peu à peu, les deux plus âgées des filles d'Olfa se radicalisent, d'abord pour être tendance (le choix du niqab est capital), ensuite par volonté de rompre avec cette famille et de se rapprocher d'Allah. Les voilà reniant la "douceur" de leur enfance et épousant la cause de Daech. Kaouther Ben Hania, avec une empathie qui lui fait honneur, décide de scruter cette mère qui a perdu deux de ses quatre filles, de regarder aussi les deux "rescapées" restées dans le giron, pour interroger la marque qu'une enfance malmenée peut laisser dans une famille.

Sans titre

Le principe (assez proche de celui de Little Girl Blue) : ce sont les vraies protagonistes qui jouent leur rôle, sauf quand c'est trop difficile pour la mère. Dans ce cas-là, on prend une actrice. Quant aux deux absentes, elles seront également campées par deux jeunes comédiennes. Le principe, assez vertigineux en termes de cinéma, donne des scènes puissantes et touchantes : la découverte des actrices par les deux plus jeunes filles, par exemple ; ou la mise en situation de scènes tendues qui mettent en cause Olfa, sous son œil édifié. Finalement, plus que le portrait d'un endoctrinement ou d'une famille brisée (ce qu'il est aussi), le film est un portrait d'une mère qui a "laissé faire", par dureté, par indifférence ; et ce procès mis en place par le dispositif de Ben Hania lui met le nez dedans. Ses réactions font la plus belle partie des Filles d'Olfa : ambiguë, d'une mauvaise foi éhontée, bien assise sur ses convictions, elle se trouve bousculée par cette intimité qu'elle voit dévoilée et se dévoile elle-même en femme brisée par le contexte où elle a grandi, sensible et drôle quand elle le veut, courageuse et intelligente aussi. Ses deux files cadettes sont elles aussi passionnantes à regarder, véritables symboles d'une modernité qui donnent espoir malgré tout. Il y a d'un côté l'austérité effrayante des deux grandes (qu'on voit dans la scène finale, et qui donne lieu à un regard caméra bouleversant), de l'autre la joie, l'effronterie, la soif de vivre des deux plus petites ; et le lent réveil de cette mère. Raconté tout droit, sans une once de voyeurisme (à peine peut-on lui reprocher quelques gros plans un peu appuyés sur des larmes qui coulent), avec un sens aigu de l'équilibre des sentiments, le film est à la fois frontal et pudique, et en dit beaucoup plus sur la société qui nous entoure que tous les discours politiques du monde.

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