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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
17 décembre 2023

Le Gang des Bois du Temple (2023) de Rabah Ameur-Zaïmeche

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Oui, on les aime ces films "à l'os" - à moins que nous ravisse uniquement l'emploi de cette expression ? Rabah Ameur-Zaïmeche n'est pas David Fincher et c'est sûrement pour cela qu'on l'aime : quand il filme un sniper, un vrai, il n'a pas besoin de montrer le gars avec "tout son attirail" (tout comme Créon chez Anouilh...), de le montrer en train de faire sa gym pendant deux heures, ni de le mettre en scène pendant des plombes dans l'attente ; Rabah Ameur-Zaïmeche filme un sniper dans l'urgence, en deux minutes à peine c'est plié, et on y croit dur comme fer. C'est tout. C'est dit. Le cinéaste franco-algérien nous fait suivre cette fois-ci un gang de braqueurs : des mecs de banlieue, soudés, complices, qui vont alpaguer en deux temps trois mouvements la voiture d'un prince arabe ; à l'intérieur du cash, des breloques à revendre, la gabegie de la richesse à portée de la main. Le coup se passe "tout en douceur", nos petits gars exultent, ce coup sonne comme une sorte de revanche sur la vie. Les "petits" ont pris aux nantis dans la banlieue de Paris-Sherwood, qui va pleurer ? Bon, seulement voilà, parmi les valises il y en avait une avec des documents confidentiels : et l'émir, celle-là, il veut la récupérer. Il loue un homme de main au faciès aussi inquiétant qu'un loup blessé et la partie est loin d'être finie... Une éternelle revanche gagnante des plus forts ? La messe est loin d'être dite.

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On ne peut s'empêcher, dès qu'un cinéaste s'attaque en terre française au polar, à évoquer Melville... Pour peu que certaines personnes soient relativement taiseuses (à l'image de ce Monsieur Pons que fréquentent les braqueurs - qui sont pour leur part beaucoup plus diserts...), pam, on colle l'étiquette Melville... C'est un peu facile et très réducteur d'autant que là on s'intéresse à un terrain qu'il n'a guère foulé - la banlieue, ses pathétiques courses de PMU pour rêver, ses apparts minuscules, ses petites vies entre le zinc où on prend un demi et le libanais où on fait bombance. Ameur-Zaïmeche nous fait rentrer de plain pied dans la vie de ces petites gens et nous montre par le menu la préparation du braquage - l'atmosphère est plutôt sereine, on se vanne, on rit un peu jaune, puis tendue, professionnelle, avant l'euphorie de la réussite. Notre petite bande a certes un peu de mal à totalement voiler ses succès, c'est de bonne guerre... Mais c'est pas fini et l'on sent que le gars qui est à leur trousse n'est jamais, lui, du genre à rigoler... Ça risque de péter et on serre des fesses à l'avance... Ce que l'on aime, dans cette œuvre en particulier, c'est ce troublant mélange de réalisme (dès le premier plan, sur le profil soucieux de cet homme, "on y est"), ces soudains décrochages musicaux qui nous font basculer dans un autre monde (celui du deuil ou de la fête), tout comme cette gestion assez magistrale des ellipses... On reste sur le qui-vive, ne sachant jamais de quoi le prochain plan sera fait, ni surtout qui va finir par avoir le dernier mot... Il y a ici, comme dans toute bonne tragédie, un sens de la fatalité évident (selon que vous soyez puissant ou...), mais la possibilité d'un grain de sable, d'une décision inattendue, reste également toujours en suspend... On est sur la corde raide du début à la fin, navigant sans cesse entre cette atmosphère de potes à la coule et la conscience terrible de cette épée de Damoclès qui risquent de s'abattre sur (tous) les différents protagonistes de cette histoire. Une maîtrise formelle remarquable qui sait alterner petits et grands moments et une ligne narrative tout aussi bien tenue. Gang ? bang ! definitely.  (Shang - 04/12/23)

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Ravi que Shang, à l'occasion de ce film, ait révisé l'avis négatif qu'il avait sur Ameur-Zaïmeche (une de nos grandes disputes d'antan, on avait failli en venir aux mains). Le bienheureux, il est tombé sur un des meilleurs crus du bougre (qui en compte 6 sur 7 films, quand même), c'est bien normal qu'il en clame la grandeur. On connait l'attachement de ce cinéaste à Renoir : voici peut-être son film le plus renoirien. Le Gang des Bois du Temple, c'est Michael Mann chez Toni. Ameur-Zaïmeche a l'air de vouloir y traiter le thème très américain du casse qui se passe mal, mais dans le style hyper-réaliste et humaniste du vieux Renoir, celui qui possède cette pâte humaine, documentaire, sociale qui fait toute sa grandeur. Les événements du film, ici, se passeront donc dans la plus parfaite cohérence : on croit du début à la fin à ces petits mecs sans grande envergure, mais qui réussissent à faire un  coup, tout comme on croit à cet enquêteur ordinaire, à ce brave gars qui fait son PMU en pleurant sa mère, ou à ce prince saoudien qui se dévergonde en boite de nuit (la scène la plus fascinante de l'année). On y croit, parce que Ameur-Zaïmeche connait le poids d'une durée, d'un silence, d'un geste entre potes, d'une parole, d'un cadre aussi : les siens sont millimétrés malgré la fausse impression de "saisie sur le vif", et franchement somptueux.

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Le film travaille en creux les rapports de classe, pouvant même, comme ceux de Renoir, être qualifié de marxiste ou de révolutionnaire : il s'agit pour la classe défavorisée d'aller taquiner la noblesse, et si pendant un temps on a l'impression que ça fonctionne, plus dure sera la chute. Les nantis utilisent ceux-là même qu'ils pourchassent (l'enquêteur prolo et algérien) pour arriver à leurs fins, et le constat d'échec de la libération des masses soumises est cinglant... Le film ménage des scènes somptueuses et très surprenantes : la chanson de cette femme à l'enterrement au début, filmée dans la durée, la toute fin du film, sèche comme du Melville, les moments de creux entre les potes du gang, où la fraternité, la vanne, le bonheur d'être au soleil à manger un kebab, la joie d'avoir réussi un coup, forment une véritable ode aux petites gens, qui fait chaud au cœur. Ameur-Zaïmeche aime tout ce qu'il filme, les gens, les villes, les ciels, les dialogues, les oiseaux et les lumières : son cinéma humaniste en diable vous réchauffe l'âme.   (Gols - 17/12/23)

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Commentaires
J
vous l'avez téléchargé où?
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