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26 novembre 2023

Un Silence (2024) de Joachim Lafosse

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Joachim Lafosse que j'avais quelque peu perdu de vue ces derniers temps (Gols s'en chargeant en le crucifiant plus souvent qu'à son tour) nous revient avec un sujet pour le moins olé-olé : les vices et autres perversités pédocriminelles d'un avocat (et pas n'importe quel avocat puisque ce dernier était en charge de la défense d'un couple tragiquement touché par le tristement célèbre Marc Dutroux), un avocat contre lequel son propre fils (on l'apprend dans les premières secondes du film) tentera de se "retourner"... Mais n'effrayons point notre spectateur éventuel avec cette thématique pour le moins guère affriolante. Ce qui intéresse avant tout Lafosse dans le traitement de ce fait divers plutôt glauque en soi, ce sont les personnages gravitant autour de cet homme affable (Auteuil, qui retrouve enfin un rôle digne de lui) : son fils (le jeune chien fou un peu perdu Mathieu Galoux, troublant de naturel) et surtout sa femme (la "silencieuse" et non moins magnifique Emmanuelle Devos)... Comment traduire cette chape de silence qui est tombée pendant si longtemps sur cette famille (les "écarts" notoires du père datant de plus d'une trentaine d'années), comment mettre en scène cette femme (jusqu'où peut-on protéger celui, ceux qu'on aime ?) et ce fils gravement touché par la conduite inexcusable de ce père dans le secret de ce foyer ?

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Lafosse prend tout son temps pour nous faire pénétrer au sein de cette histoire familiale torve, de cette demeure sompteuse où chaque recoin semble dissimuler de sombres agissements, choisissant de suivre en particulier le regard (mi éteint, mi douloureux) de cette femme qui s'est, semble-t-il, progressivement laissée ensevelir sous cette honte : honte de laisser faire, honte de ne rien dire, honte de ne point parvenir après tant d'années à réagir... Comme toujours, la caméra de Lafosse glisse sur cette femme (Kiarostami aurait aimé ces longues séquences en voiture, m'est avis...), l'accompagne au plus près (dans ses silences, donc, désireuse qu'elle est de protéger les siens), sans jamais se faire jugeante, supérieure, nous laissant toute liberté pour tenter de cerner ce personnage, pour tenter de toucher du doigt la tempête qui se joue dans ce crâne... Ambiance claire-obscure de bon aloi, plan-séquence d'un classicisme certain et réglé au millimètre pour suivre au plus près tous les méandres de cette histoire, toutes les trajectoires de ces personnages aux abois : le masque du père, les réserves de la mère, le renfrognement du fils. Lafosse, parfois, dans ce cinéma-là, pouvait un peu nous perdre  en route à force de rester un peu "extérieur" à ce qui se jouait sous le regard de la caméra ; il réussit ici, sans jamais trop plomber l'atmosphère (ce n'est pas jouasse, certes, mais cette façon de tenter de rendre compte de façon "sensible" d'un tel sujet demande toutes les précautions d'usage) à nous faire ressentir la véritable tragédie intime qui agite chacun de ses personnages principaux ; je ne reviendrai pas avec moult détails sur les thématiques de ce film (Lafosse, présent dans la salle pour cette avant-première, fut assez disert, se livrant de bonne grâce sur ses diverses motivations personnelles et artistiques) mais avouons qu'il touche relativement juste en évoquant le personnage de cette femme prisonnière de son attachement à cet homme public, prisonnière de ce foyer au bord du gouffre où la moindre petite étincelle pourrait tout faire exploser de l'intérieur. Devos est très touchante, très juste dans le registre de cette femme prise au propre piège de son mutisme (une scène pour moi, résume l'essentiel, celle où elle croise en silence son mari dans l'escalier - scène fugace en soi mais terriblement parlante). Lafosse, sur un sujet plus que délicat, retrouve ici à mes yeux toute la justesse de son regard de ses (quasi) débuts (Nue propriété, tout de même !). Rendez-vous en janvier 2024, donc.

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