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15 février 2009

Nue Propriété (2006) de Joachim Lafosse

Le cinéma belge a de beaux jours devant lui avec le jeune Joachim Lafosse qui signe un film impressionnant dans la direction d'acteurs et dans la maîtrise formelle. On est forcément tenté de penser aux Dardenne même s'il manque sûrement encore cette parfaite rigueur, cette fluidité, ce mouvement constant imprimé à l'histoire. Il y a en plus ce personnage de gamin mal dégrossi interprété par Jérémie Renier, qui rappellerait presque son personnage de L'Enfant. Mais arrêtons là les comparaisons un peu forcées, tant cela serait réducteur à la vue du talent d'un Lafosse qui signe un second long-métrage assez bluffant.

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Thierry et François (les deux frères Renier, comme des poissons dans l'eau dans la complicité) cohabitent avec leur mère. Bien qu'ils approchent la trentaine, on perçoit surtout leur côté "grands gamins" comme s'ils redoutaient l'instant où il faudrait déployer leurs ailes. Thierry prend des cours de je ne sais quoi, fricote avec une gonzesse qui bosse dans un club de gym et fait montre d'un caractère relativement impulsif - un peu soupe au lait, le Thierry -, un être égoïste et têtu comme une mule (cela n'est point l'apanage du Thierry, entendons-nous bien). François est beaucoup plus effacé, semble également plus proche de sa mère et passe ses journées à poncer les volets ou à tondre la pelouse - on sent que de 15 ans à 25 ans, sa vie n'a pas dû beaucoup bouger. Les deux frères se vautrent dans la boue en faisant de la moto, jouent au ping-pong ou à la PlayStation, on sent bien que ce ne sont point des traders en puissance... Ca respire un évidente puérilité mais aussi une certaine innocence préservée.

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Leur relation avec leur père semble se limiter, tacitement, à des échanges sporadiques d'argent, comme si ce dernier avait un peu lâché l'affaire. Les rapports avec leur mère sont, eux, proches de la camaraderie (ils la charrient en permanence) mais vont avoir tendance à se tendre... Dès le départ, on sent que la mère (extraordinaire Isabelle Huppert, comme d'hab) ne bénéficie d'aucune intimité (elle prend sa douche pendant que l'un de ses fils se lave les dents, se balade en petite tenue comme si ses fils n'avaient point grandi, est obligée d'aller dans l'arrière d'une voiture pour s'ébattre avec le voisin); au premier abord, cela ne semble pas trop la perturber, mais peu à peu, à mesure que cette histoire d'amour avec son voisin s'épanouit, on sent chez elle la volonté de reprendre contact avec elle-même et de tout simplement recommencer sa vie... Evoquant le fait de vendre la maison de famille pour pouvoir investir, éventuellement, dans une maison d'hôte, la mère se retrouve face à un mur : un peu hébétés par la remise en question de leur petit monde, les deux frères, surtout Thierry, font montre d'une certaine résistance voire d'une réelle agressivité. Le premier clash survient lorsque la mère invite le voisin - son amant donc -, un soir, pour jouer en quelque sorte le rôle de médiateur avec les fils (une séquence d'une incroyable intensité, qui prend aux tripes): forcément plus vraiment habitué à recevoir de leçons, le ton monte rapidement entre Thierry et ce voisin flamand qui se sent de moins en moins à sa place. La cocotte-minute est sur le feu, ça commence à bouillir et après, ben oui après... ben après, si on fait rien, ça pète.

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Le pauvre Thierry, de moins en moins bien dans sa peau, de plus en plus fragilisé dans son royaume, ne va pas tarder à exploser. On aura droit à une superbe confrontation finale avec le père, le Thierry ne faisant pas vraiment dans la finesse pour exprimer ses tourments intérieurs de gamin blessé ("elle (évoquant sa mère), c'est qu'une pute et toi (s'adressant à son père) tu t'es fait baiser" faisant ainsi référence au divorce...); le père plein d'une réelle sagesse, fataliste lui rétorque laconiquement un "on a essayé et cela n'a pas marché..." Un constat d'échec somme toute banal au sein de leur couple; mais si les deux ont tenté, malgré tout, de suivre leur petit bonhomme de chemin, on voit bien que les premiers à en pâtir, profondément, furent les gamins... Sans dévoiler la fin, il est clair que les parents ne peuvent qu'essayer de "ramasser les morceaux" vis-à-vis d'une situation qui a fini par leur échapper...

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Lafosse fait preuve d'un vrai sens du cadre, se contentant souvent de plans fixes, lors des scènes de repas notamment, la vraie dynamique venant des échanges entre les personnages... Lorsque, vers la fin, le cinéaste filme le désarroi d'un Thierry qui pète, un peu comme un enfant gâté, tout ce qu'il a entre les doigts, la caméra est alors portée à l'épaule et tente de traduire tous les soubresauts émotionnels de ce personnage en pleine perdition... Lafosse réalise un film sur les "dommages profonds et collatéraux du divorce" d'une grande sobriété formelle, au montage très propre, qui repose pour une bonne part sur la qualité de ses acteurs à faire vivre leur personnage. Coup de chapeau une nouvelle fois à Isabelle Huppert qui parvient à instaurer, grâce à sa capacité à jouer toujours juste, un réalisme confondant dans les relations entre les personnages. Une future présidente du festival de Cannes au talent en or. Tu m'invites, Isa, dans ton palais ?          

Commentaires
S
Ces plans fixes, toujours les mêmes mais jamais les mêmes, travaillent au corps. Et puis cette fin, ouverte : la maison s'éloigne... cet "incident" sera-t-il pour la mère le piège définitif ou la rupture, le choc nécessaire ? Petite chose toute simple, oui, et parfaite, tranquillement puissante. (Je trouve par contre que la scène du ramassage de morceaux est un peu en trop ; on va dire que c'est la petite imperfection essentielle à toute œuvre de haute qualité.)
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