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20 septembre 2023

Chacun à son poste et rien ne va (Tutto a posto e niente in ordine) de Lina Wertmüller - 1974

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Du génie, en voulez-vous en voilà. Je ne cesse de vous supplier de regarder les films de Lina Wertmüller, mais faites ce que vous voulez, après tout. Moi, pendant ce temps, je découvre ses trésors tout seul dans mon coin, et notamment ce nouveau missile sol-sol qu'est Tutto a posto e niente in ordine. C'est à une Lina bien remontée contre le capitalisme qu'on a affaire ici. Ennemi habituel de la bougresse, certes, mais qui est poussé jusqu'à ses limites farcesques et tragiques. Le film ne cesse de valser entre les atmosphères, pouvant commencer sur une scène qui s'apparente à de la grosse blague typiquement italienne (entendez vulgaire, sexuée et tonitruante) et se terminer en drame poignant, sur un visage tourmenté ou un corps supplicié. Cette variété d'ambiances et de styles va avec une mise en scène assez épuisante, qui varie les échelles de plans et les points de vue avec une frénésie totale. On ressort du film vanné, tant tout y est bruit et fureur, mais complètement convaincu par la fougue déployée par une cinéaste têtue et effrontée, qu'on a rarement connue aussi frontale.

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Le scénario est assez lâche pour cette fois. Il s'agit de quelques tranches de vie nous donnant à voir la vie de jeunes Milanais pauvres placés dans la société de consommation effrénée des 70's. Deux péquenauds de la campagne qui débarquent à la ville tout ébahis et terrifiés, une poignée de filles plus ou moins délurées et joyeuses, un Sicilien amoureux fou d'une modiste, un petit voleur rigolard : tout ce petit monde jeune et marrant se retrouve à cohabiter dans une demeure milanaise et à devoir survivre dans cette société qui ne leur offre pas que de belles choses. Après le temps des joies, de la drague et de l'utopie communautaire, nos héros vont se retrouver confrontés à d'autres états de la société : la domination masculine, l'exploitation des pauvres par les riches, le chômage, les petits boulots merdiques,  l'emprise de la télévision, la pauvreté, les concessions, le trahison de soi-même... A l'image de ce pauvre hère qui ne peut s'empêcher de coucher avec sa femme malgré ses 7 enfants, la petite bande est inscrite en plein dans la consommation, mais incapable d'y faire face. Aussi les femmes se prostituent, se font violer, se vendent au plus offrant (catalogue assez exhaustif des malheurs qui peuvent tomber sur elles), les hommes volent, violent et dépriment. Tout ça dans le chaos incessant de la ville, dans les cris, les disputes, les insultes et les râles. Autant dire qu'on est pas loin de l'enfer de Dante.

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Wertmüller y va cette fois au bazooka pour hurler sa haine de la domination de l'homme par l'homme au temps de l’industrialisation de masse. Certains comme Marx en font des gros volumes, d'autres comme Moretti en font des comédies douces-amères ; elle, son truc c'est la diatribe, et le mélange des genres. Comme toujours, c'est de mauvais goût, vulgaire et braillard ; comme toujours, on admire cette absence de filtres, cette saine franchise pour dénoncer les fâcheux qui nous dirigent. Le plus fort, c'est qu'ils ne constituent pas les seules cibles de la cinéaste : le prolo est tout autant maltraité par ce portrait au vitriol d'une société qui renvoie tout le monde dans le sordide, riches et pauvres. Si les premiers sont insupportables dans leur force silencieuse, les seconds le sont dans leur passivité, leur atavisme de bêtes de somme. Certaines séquences sont admirables : celle qui ouvre le film, magnifique variation de gros plans et de plans généraux pour illustrer le chaos de la ville et nos deux ploucs perdus au milieu ; la scène incroyable où un dandy remplit de merde la voiture d'un gars qui l'a envoyé en prison ; ce brusque changement d'ambiance qui nous fait plonger dans des plans documentaires sur les abattoirs (et bim, les vaches) ; la dispute à coups de... téléviseur... On est ébahis par la liberté de ton et l'expression sans frein de cette cinéaste en sur-forme, et si les acteurs ne sont pas tout à fait à la hauteur des légendaires Giannini et Melato, les deux habituées de Wertmüller, on a tout de même l'impression d'approcher encore une fois le très grand film.

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