LIVRE : Client Mystère de Mathieu Lauverjat - 2023

Après un accident de vélo lors d'une livraison, un livreur Uber décide de se reconvertir, et de pénétrer dans le monde sans pitié du libéralisme poussé au maximum ; en l'occurrence, de devenir "Client mystère", envoyé anonyme dans différentes entreprises pour noter tout, hygiène, confort, efficacité, respect des normes, et surtout les employés eux-mêmes. Un prolo qui va être envoyé au casse-pipe pour juger d'autres prolos, le tout au service du Grand Capital, voilà le programme qui s'offre à notre jeune et ambitieux narrateur, et dans lequel il plonge sans aucune arrière-pensée. Mais quand les conséquences de ses petites notes de satisfaction se font entendre de façon tragique, notre homme va être amené à se questionner et être poussé jusqu'à des extrémités inattendues. C'est un roman d'aujourd'hui qu'ambitionne d'écrire, pour son premier essai Mathieu Lauverjat : celui de l’uberisation du monde, de la toute puissance du fric, de l'absence de pitié de l’algorithme. Et, oui, force est de reconnaître que, tant dans l'écriture que dans le sujet, il est bien de son temps, et parvient à rendre compte de la monstruosité et de la complexité de notre système contemporain qui veut que chacun surveille tout le monde, que chacun soit noté, et que les plus rétifs soient évacués corps et bien de la société. A grands coups de jargon communicant angloïde, Lauverjat traite avec ironie et une violence teintée d'humour noir de la violence de ce petit monde de l'entreprise, devenu déconnecté du monde réel au point de sacrifier l'humain. C'est à un petit mec sans envergure qu'est confié le rôle de l'Enculé Ultime, et il s'engouffre dans la brèche avec une absence totale d'éthique personnelle ou de scrupule : complètement asservi au système, il lui faudra 200 pages pour que se révèle toute l'horreur de ses actes.

Sujet original et pertinent, oui, en tout cas pendant les deux premiers tiers. Le troisième se teinte de polar, et ce qui jusque là était à peu près crédible s'effondre devant les exagérations d'une trame qui se relâche. Comme l'écriture n'est pas toujours au top, manquant de fluidité, assez pénible dans ses rythmes, remplie de phrases toutes faites et de clichés, on tique de plus en plus donc devant ce texte au final assez maladroit. Lauverjat ne sait pas s'arrêter quand il a trouvé un bon filon : ses variations sur le champ sémantique autour de la novlangue de l'entreprise est mille fois trop long, et ses allégories sur le poulpe (la petit amie du narrateur ouvre un resto spécialisé dans les pieuvres) fatiguent à la longue. Bref, on n'est qu'à moitié satisfait par le roman, qu'on termine même avec une pointe d'agacement.