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17 juin 2023

LIVRE : Plume précédé de Lointain intérieur de Henri Michaux - 1938

1e25af1c92e1bca17da4da012efa16ea86d51d20921672aae170b66ce8b01f68Vous me trouvez en ce jour bien déconfit, puisque ce que je considérais comme le meilleur recueil de poésie du XXème siècle vient de me tomber carrément des mains. Je ne sais pas trop pourquoi, pas dans le mood, envie ces temps-ci de poésie classique, un brin de fatigue quant au surréalisme, ou simplement l'envie d'être grincheux, mais le fait est : Plume, cette fois-ci, m'a semblé fabriqué et assez chiant. Alors ceci dit, attention ,ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : il y a dans ce recueil (dans ces recueils même, puisque a été adjoint à Plume une autre partie, Lointain intérieur, qui constitue peut-être un complément autour du rêve) suffisamment de fulgurances pour mériter amplement le détour du lecteur curieux d'expériences. A commencer par le corps même du texte, les aventures de ce Plume, vague être sans caractère, passif et poli jusqu'à endurer toutes les avanies sans broncher. Avec un humour noir très méchant, Michaux nous raconte quelques épisodes de la vie de cet homme, la plupart du temps plongé dans des situations d'extrême violence. Décapitations, tremblements de terre, tabassage en règle et dindes farcies aux asticots y abondent, dans des courts textes cultivant un ton absurde parfaitement pendable. A la fois contes moraux et manifestes dadaïstes, à la lisière de la poésie en prose et de la nouvelle, ces petits objets morbides et belgissimes font grimacer autant que marrer. On sent derrière la blague bien des tourments, reflets de l’époque autant que de l'état intérieur de l'auteur, et un goût pour le bouleversement des règles de la poésie qui fait plaisir à voir.

Autres sommets : la partie "Poèmes", suite de pièces un brin plus classiques (quoi que...), parmi lesquels figure le plus beau texte du monde, "Comme Pierre dans le puits" (mon mantra depuis toujours), mais aussi quelques pièces jouant avec brio sur les sons ("Dans la nuit", sobre vision apocalyptique ; "Télégramme de Dakar", récit de voyage saccadé rythmé par les baobabs) ou sur la solitude, l'attirance vers la mort, ou le manque d'amour de son auteur. Autre grand moment : la pièce de théâtre, "Chaînes", farce désespérée sur l'amour impossible qui prend des airs de jeu de massacre violent et cruel autour d'un homme attaché amoureux d'une belle cruelle. Bien de son époque, Michaux joue les Ionesco, s'amuse de situations absurdes et artificielles pour mieux plonger dans des abîmes de tristesse, cache derrière un humour très premier degré un malheur qu'on devine profond.

Malheureusement, le reste du recueil n'est pas à cette hauteur. Trop arc-bouté sur ses expérimentations droguées, oniriques et littéraires, Michaux y propose des poèmes qui semblent parfois écrits dans l'hébétude, ou en écriture automatique, cherchant une étrangeté surréaliste qui finit par être lassante. A la recherche des trésors de son subconscient, il en ramène des poèmes trop éclatés, cryptiques, presque ésotériques. On sent bien qu'il y a là des choses intéressantes, dans l'acte même d'écrire "sous influence", guidé par les méandres de son cerveau reptilien, par l'état de sommeil ou par les drogues. Mais ces pièces s'avèrent illisibles la plupart du temps, n'existant que pour l'expérience, comme certains de ces tableaux qui n'ont pour explication que leur propre existence. La passion du voyage de Michaux l'entraine cette fois vers des contrées moins bien mesurées, son goût pour les animaux et l'hybridation donne des textes trop délirants pour intéresser réellement. Si bien qu'on ne peut vraiment aimer qu'un quart de ce livre, le quart le plus maitrisé, le moins en roue libre.

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