Alcarràs (2022) de Carla Simón

Un Ours d'or berlinois pour saluer cette année un film espagnol qui sent bon le terroir, les pêchers et les figues... Dès le départ, on comprend là qu'il s'agira de montrer la fin d'un monde, la fin de ce petit monde d'agriculteurs, de ce temps "béni" ou tout du moins sacré des récoltes, de ce travail qui sent la sueur mais aussi un certain bien-être, un certain vivre ensemble ("ouvoimoja" en shimaore - pardon ?)... Les gamins jouent dans une 2 CV abandonnée, plaisir enfantin que de s'imaginer dans une course improbable ; seulement voilà, une grue apparaît et la bagnole, vidée de ses gamins, est dégagée : oui, finis l'insouciance, ces petits instants de folie, ce petit bonheur enfantin, simple, place au rendement des panneaux solaires au mépris de ces cultures quasi ancestrales qui ne rapportent plus rien... On suivra ici la trajectoire d'un certain Quimet, attaché comme jamais à ses cultures, à son verger malgré un dos qui part en charpie, un Quimet entouré de toute sa petite famille : le pater, sage et un rien désabusé, son fils, toujours partant pour le taff mais qui a tendance à sympathiser avec son oncle pour planter de la Marie-Jeanne, son frère, ce fameux oncle justement, qui semble prêt, lui, à travailler dans les panneaux solaires pour plaire au nouveau propriétaire de ces terres (la famille de Quimet vit ici depuis plusieurs générations mais sans acte notarial officiel), sa chtite gamine espiègle toujours prompte à faire les 400 coups avec ses deux petits cousins germains, sa femme, sa sœur de passage... On assistera là à la fois à la mise en scène de ce bonheur simple au sein de cette grande famille (les récoltes effectuées dans la bonne humeur, les incontournables repas de famille, le spectacle joyeux des gamins qui font leur petit théâtre, la complicité qui éclate ici ou là autour d'un verre de trop...) mais aussi aux tensions qui se font jour à cause de cette pression de plus en plus grandissante : il s'agirait bien là en effet de la dernière récolte, les pêchers étant voués à disparaître ; tension palpable qui se répercute dans les rapports entre Quimet et son frère, entre Quimet et son fils : on oscille ainsi constamment, sous ce soleil de plomb de la Catalogne, entre ultimes petits moments de grâce et imbroglios idiots...

Voilà un film dirons-nous somme toute assez "classique" de par son propos et de par son traitement, mais qui demeure de bout en bout relativement plaisant à voir, rempli de dynamisme et de petits moments précieux : cette galerie de personnages où chacun possède son petit rôle, son petit moment (la caméra de Simon qui se place souvent au côté d'un individu pour voir le regard que cet individu porte sur le monde) est parfaitement dessinée et, de la gamine intrépide et coquine au grand-père paisible et las, on s'attache aux protagonistes de cette histoire où tout le monde a forcément au final un peu à perdre... On n'est point bienheureusement dans un film à l'atmosphère crépusculaire, on ne baigne pas dans un ton réac du "c'était mieux avant" à tout bout de champ, on assiste simplement au portrait plein de vie d'un monde qui change, qui évolue, par la force des choses... Chacun tente de s'adapter, ou pas, avec plus ou moins de bonne volonté, à cette "évolution" fatale. Malgré l'ombre qui plane, chacun tente encore de profiter de quelques bons moments, en cueillant une figue, en s'amusant dans le moindre recoin de ce paysage plein de cachettes, en dansant en balançant ses bras comme un dingue, ou encore en se jetant les uns les autres dans la piscine... Un monde de cris, de joie, de labeur aussi, quotidiennement recommencé, qui va finir inéluctablement par s'effacer du paysage. Simon évite tout pathos intempestif et livre un film à la fois pétillant et tendu, gouleyant comme un petit vin de pays. Sympathique cuvée.