Female Trouble (1974) de John Waters
Nous voilà indéniablement dans l'antre du bon goût, de la nuance, de l'intellect pointu ; Female Trouble c'est un peu la face cachée du beautiful world de Victoria'secret : des modèles qui pètent la balance, des dessous sales (ce slip est vraiment d'une rare sensualité), des hurlements constants, du trash à tous les étages... Divine ne veux pas se laisser emmerder et ne se contente pas de le dire... On suit ici un parcours en tout exemplaire : des rixes à l’école, puis des petits larcins, une coucherie et bing un gosse (elle accouche à domicile et rompt le cordon ombilical avec les dents : c'est pas donné à tout le monde) puis un mariage avec un coiffeur (là on touche véritablement le fond) et puis, j'ai envie de dire, c'est l'engrenage... Divine, avec sa grande douceur et son charisme qui respire la tranquillité, virera son con de mari, se fera défigurer à l'acide et se vengera en coupant à la hache le bras de l'assaillante, mais connaîtra enfin, grâce à ce couple de sponsors bienveillants toujours prêts à chercher à tirer partie d'elle, l'occasion de monter sur scène. Divine sur un trampoline, ça déclenche des tonnes d'empathie pour le trampoline - mais au-delà de la performance, il y aura aussi un message : quel spectateur est véritablement prêt à mourir pour l'art ? Elle ira jusqu'au bout de sa logique dévastatrice... Cette fuite en avant risque malheureusement de se finir de façon tragique dans ce monde qui n'accepte guère autre chose que la demi-mesure et l'art pouet-pouet...
Ah c'est toujours une expérience, un film de Waters : pour les yeux (on n'est pas dans les canons de beauté habituels ni dans la dentelle au niveau des costumes - les seventies, ce n'était pas que les sous pull...), pour les oreilles (alors ton texte, tu le cries, voilà, tu cherches pas), pour la morale (papa, je suis la fille que tu n'as jamais connue ! eh bien je vais te sauter ma fille - carnage, ensuite, forcément, dû à ce léger malentendu)... On est dans la chair qui déborde, dans des discours qui éructent, dans des actes politiquement jamais très corrects. C'est assez libérateur en soi cette absence totale de carcan, dommage que tout soit un peu trop au diapason : aucune rigueur dans la mise en scène ou dans les cadres, des décors a minima et plus moche que l'étagère de bibelots chez grand-mère (le fond, la forme, oui, forcément), des baisses de rythme qui assomment son homme et une façon d'enfoncer le clou dans le délire qui crucifie un peu les quatre membres à la fois (c'est exigeant, hein, quatre-vingt-dix minutes de violence dans les couleurs et dans le verbe...). Du Waters pur jus, en un sens, un voyage en eau cinématographique trouble, du vintage, du lourd : à défaut d'être absolument fan de la chose, difficile de ne pas reconnaître le côté jusqu'au-boutiste du gars et une anarchie morale qui fait du bien dans une époque actuelle si serrée du cul.