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12 novembre 2021

Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman - 2018

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Magnifique film que celui-là, mazette, un des tout meilleurs de Wiseman, ce qui prouve que notre compère n'a pas encore tout dit ni tout montré de sa chère Amérique. C'est justement au sein du trou du cul d'icelle qu'il choisit cette fois-ci de s'installer : Monrovia, petite ville rurale du Midwest, son marché aux bestiaux, ses concerts de country, ses magasins de flingues, ses conseils municipaux placés sous la protection de notre Seigneur, ses verts champs et ses marrons vaches. Un coin d'Amérique préservé, loin de tout, aux paysages bucoliques et aux gens débonnaires qui se connaissent tous, oui ; mais aussi une Amérique où le XXIème siècle semble n'avoir pas encore mis les pieds, enfermée dans ses atavismes et ses réflexes de Blancs fiers d'eux-mêmes, une Amérique de chasseurs, de mâles dominants, de barbecues saignants et de bière tiède. Un paradis en surface, un enfer en profondeur : Wiseman filme son pays et l'a rarement fait avec autant d'intelligence, montrant toutes les ambiguïtés de ce coin de pays idyllique mais rongé par son immobilisme. On ne cesse en effet de passer de merveilles en horreurs dans ce film : la profonde quiétude de Monrovia, son quotidien confortable rythmé par les fêtes, les rendez-vous au bar ou les foires diverses, apparaissent comme des bouts d'Eden préservé, où le vivre-ensemble a encore un sens ; mais il suffit de regarder ces scènes de cérémonies religieuses, d'écouter ces conversations de coin de comptoir ou de contempler le caddie du client de magasin d'armes, pour mesurer combien ce paradis cache de noirceur, de rejet des autres, de trumpisme galopant.

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Mais après tout, ce n'est peut-être même pas ça que filme le mieux Wiseman, ou en tout cas cela a échappé à sa caméra. On a très peu de séquences où le caractère réactionnaire des habitants de Monrovia se fait jour, et si messes et dialogues arriérés il y a, on peut penser que c'est dans toute l'Amérique qu'ils ont lieu, et non pas seulement dans cette ville que le cinéaste aurait souhaitée exemplaire. Faute de faits marquants pour illustrer son propos politique, le gars capte des plans absolument merveilleux sur le simple déroulé paisible des jours. On se fait chier, visiblement, à Monrovia, oui ; mais on y vit dans un coin de nature paradisiaque, et il suffit que Wiseman la cadre pour que celle-ci rende toute sa beauté. Arc-boutés sur la préservation de cet écrin immaculé, les habitants semblent vivre hors du temps. En fait, c'est la façon dont la ville s'exclut elle-même du monde contemporain que le film réussit à capter : ces longues réunions à la mairie pour décider de l'installation d'un banc, ces cours sur l'histoire de l'équipe de basket de Monrovia, ces discussions autour du régime alimentaire ou ces considérations sur la beauté d'une moissonneuse-batteuse cachent finalement une volonté de ne pas parler politique, de ne pas "en être". C'est à peine si les grands soucis de ce monde (l'intégration des étrangers, par exemple) sont évoqués. L'humanisme constant de Wiseman, qui se garde bien de juger ou de mettre ce qu'il voit dans le camp du Bien ou du Mal, fait le reste : le film est beaucoup moins politique qu'élégiaque, mélancolique, hommage ambigu à cette Amérique d'autrefois, qui refuse la modernité. Grand grand film complexe, encore une fois, que je hisse direct dans les 3 meilleurs Wiseman.

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