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10 mars 2021

Mr. & Mrs. 55 (मिस्टर एंड मिसेज़ 55) de Guru Dutt - 1955

Mr & Mrs '55 9

Voilà un des classiques du cinéma indien, et pour sortir agréablement des Satyajit Ray habituels, c'est un film parfait. On est franchement étonné de la modernité, de la beauté de la mise en scène et du jeu d'acteurs dans cette comédie musicale pré-Bollywood, mélodrame autant que comédie romantique. Nous sommes dans une famille huppée de l'aristocratie indienne : la mère, féministe convaincue, organise des réunions où elle fustige le poids des hommes et l'asservissement des femmes, incitant celles-ci à se révolter. C'est dans ce contexte que la nouvelle tombe : pour toucher un héritage conséquent, il faut que Anita, la jolie jeune nièce de la famille, se marie dans le mois. Se marier à un HOMME ? Son Anita ? C'en est trop pour la matrone, qui monte alors un coup de jarnac : payer un pauvre gusse pour qu'il marie la jeune fille, puis l'obliger au divorce une fois le pactole encaissé. Sauf que, vous connaissez l'amour et ses mille coquineries, la passion va naître entre Preetam, le gusse en question, et Anita. Le film va alors opérer un charmant looping par rapport aux films de re-mariage habituels : ici, le couple se marie avant de s'engueuler puis, par la grâce de quelques chansons et le charme de nos tourtereaux, de tomber amoureux à nouveau et éviter le divorce, cette fois pour de bonnes raisons. Cette conquête patiente, pourtant actée dès le départ, va mettre quand même 157 minutes à advenir. Bon, c'est un poil long, c'est vrai, mais c'est fait avec une telle douceur et un tel évident bonheur qu'on regarde passer cette bluette cousue de fil blanc comme un souffle. Les personnages sont soigneusement pensés façon farce de Molière : autour du couple principal, campé par une Madhubala fraîche comme une rose et qui peut évoquer Magnani au temps de sa gloire, et Guru Dutt himself, loser au grand cœur pas si éloigné d'un Errol Flynn, une belle galerie de seconds rôles, dont la mère, impeccable de rigidité, et le pote du héros, en charge de la partie comique (et tout de même un peu trop grimaçant pour arracher le moindre sourire). Tout ça fabrique un charmant chaudron d'émotions, on passe de la romance sucrée à la farce, de la comédie de mœurs à l'italienne aux parties chantées, et on passe un plaisant moment.

imyk

Dutt est aussi habile au jeu qu'à la mise en scène, très impressionnante par sa variété et sa beauté. Il se joue des beaux décors avec beaucoup d'aisance, aimant particulièrement les profondeurs de champs, les hiatus entre les échelles de plan, et adorant par-dessus tout filmer son actrice, il est vrai craquante. Dans les parties musicales, dégagées pour l'instant des kitcheries bollywoodiennes à venir, il sait à merveille filmer comme hors du temps : pas de virtuosité ni dans les voix ni dans les danses, mais une façon d'inscrire ces chansons dans le récit pour le commenter façon chœur antique, on sent un vrai attachement au genre, et le sens de la joie qui éclate dans ces parties. Rien n'est très grave là-dedans, c'est juste les habituels chagrins sentimentaux et les entourloupes d'amants intrépides, mais le bonheur y est constant. Et puis, notre hilarité augmente quand on s'aperçoit que le discours féministe prôné par la mère est complètement balancé aux orties. Le fond du film, au final, c'est : "et si moi j'ai envie d'être soumise à mon mari, si j'ai envie de repasser ses chemises, qu'est-ce que ça fait ? c'est quand même pas une furie adepte de l'égalité qui va m'en empêcher..." On a même droit à une scène qui justifie qu'un mari puisse battre sa femme, bah ce sont les aléas du mariage, et puis si on s'aime, hein ? Virginie Despentes devrait en faire un infarctus. Le film prône un retour à l'ordre ancien (monsieur drague madame, qui prend plaisir à être courtisée) avec une sincérité désarmante, le progrès peut bien aller se faire foutre. La vieille acariâtre pourra remballer son émancipation des femmes pour cette fois ; tant pis : elle était suffisamment hautaine et cupide pour qu'on la regarde perdre la partie sans scrupule. Un film de son temps, quoi, mais avec déjà un pied dans le suivant, et un moment lumineux et rigolo comme tout.

Mr

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