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10 mars 2021

LIVRE : Les Lamentations du coyote (Coyote Songs) de Gabino Iglesias - 2019

9782355847776,0-7022799Il semble bien qu'on ait mis la main sur un authentique bon écrivain américain avec ce Gabino Iglesias. Après un Santa Muerte de glorieuse mémoire, il nous revient avec ce bouquin noirissime toujours aussi glauque, peut-être moins évocateur que l'autre mais tout aussi éprouvant et passionnant. Observez son portrait, que je ne résiste pas à vous mettre ici, et vous verrez ce que je veux dire : on ne peut pas avoir cette tronche-là et être mauvais. Bon, le type s'attaque cette fois-ci au roman choral, autour de la thématique qui le touche depuis deux romans : l'immigration mexicaine, les sans-papiers, les gangs, le tout mâtiné d'une mystique complexe, mêlant la religion à une sorte de superstition et de sorcellerie. Sur ce terreau fertile, Iglesias dresse le portrait d'une poignée de personnages disparates amenés ou non à se croiser au cours du livre, tous en lien avec cette fameuse traversée infernale de la frontière, à l'endroit exact où le regretté Trump avait décidé de bâtir un joli mur. On a là un beau spectre de monstres et de névroses, de malheurs et de tragédies : un môme dont le père se fait dézinguer par un "chasseur de Mexicains" et qui n'a plus que la vengeance en tête ; une artiste 2.0 qui décide de transformer sa violence et l'état triste du monde en acte artistique ultime ; un passeur en guerre contre les trafiquants d'enfants ; plus deux personnages assez extraordinaires qui font verser le roman dans le fantastique : le fantôme d'une migrante hantant les lieux de sa mort en hurlant sa haine des hommes ; et une femme qui tous les jours accouche d'un monstre, symbole de la brutalité intrinsèque du monde. Ce joli monde bigarré va tranquillement courir à sa perte, en passant par mille outrages sanglants la plupart du temps.

gabino-officielIglesias n'a pas son pareil pour trouver le minuscule détail parfaitement vomitif qui fait toute la différence dans ses descriptions de meurtres. Ici, ce sont des mains de bébé collées à un monstre visqueux, ou l'observation méticuleuse d'une flaque de sang rejoignant la gueule d'un poisson à l'agonie lors d'une partie de pêche, ou l'insupportable tas de cadavres étouffés dans un camion en plein désert. Il faut une certaine dose de sadisme et de fascination pour la violence pour écrire ça, on est d'accord, mais il faut aussi une profonde révolte, une volonté bien ancrée de rendre les choses insupportables au lecteur pour mieux lui faire rentrer les images dans la tête. Ce mélange fonctionne parfaitement : on est entre la rigolade gore et la brutalité éprouvante. L'auteur mélange à tout ça une religion faite de bric et de broc, de saints rédempteurs et de breloques, fabriquant une sorte de "kaddish" pour ces enfants mexicains sacrifiés, enregistrant avec une profonde tristesse les horreurs dont sont victimes les Mexicains dans le désert, loin des yeux de tout le monde. Le style, épuré et sec comme une carcasse laissée en plein soleil, n'en recèle pas moins pour autant de précision, de petits détails, qui rendent un personnage attachant, qui lui donnent une aura immédiatement mythique. Le livre est un peu court, et c'est dommage : on aurait aimé qu'Iglesias développe ces destins, fasse monter plus doucement la pression plutôt que de nous asséner de la violence pure, ils n'ont pas vraiment assez de place pour exister ou se faire aimer. Mais malgré ça, on ressort de ce moment de "pulp" ébloui par le rythme, par l'écriture, par l'originalité de la vision, par le jusqu'au-boutisme des choix souvent casse-gueule (faire entrer le fantastique dans le polar). Un grand livre-cauchemar.

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