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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
26 février 2021

First Cow (2020) de Kelly Reichardt

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Berlin 2020, la suite, avec ce dernier opus de la grande Kelly Reichardt. Un film qui nous emmène aux confins de the Frontier (en Oregon) sur les traces des trappeurs et des chercheurs d'or. Un film historique ? Vous n'y êtes point, ce qui intéresse Kelly Reichardt ce sont les émotions et en particulier les histoires d'amitié forte. On reste dans le low-key, ici, autant dire dans un rythme absolument zen (mais jamais chiant, tant le sens du cadre est nickel, tant les couleurs sont belles) avec cette rencontre entre un cuisinier et un Chinois. Tous les deux sont des personnes "en marge", le cuisinier rejeté par ces cons de trappeurs, le Chinois recherché par des Russes. Tout prêt d'un fort, leur amitié se soude sans qu'il y ait besoin de long discours : c'est la magnifique séquence où le Chinois invite "Cookie" à boire un verre dans sa cabane de fortune et où Cookie décide de balayer la cabane ; quelques gestes, peu de mots, tout est dit, les voilà prêts à faire un bout de chemin ensemble. Attention les yeux avec ce qui constitue l'essentiel de la trame : nos deux amis décident, chaque nuit, en cachette, de traire la seule et unique vache de la région qui appartient à une sorte de « gouverneur » du coin ; Cookie fait des biscuits qui se vendent comme des petits pains... Le début de la fortune avant de poursuivre leur aventure. Ou pas. Car bien mal acquis ne profite jamais, et tant va la cruche... On s'en branle, en fait, tout ce qui compte étant de voir cette amitié en action, à la vie, comme on dit, à la mort.

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Le film débute de nos jours avec la découverte d'un squelette, puis d'un autre... Reichardt continue de s'intéresser au sol en filmant la cueillette de champignon dans ce paysage de forêt ; on a déjà fait un bond en arrière puisque l'on suit notre cuisinier qui tente de grappiller deux trois trucs pour tenter de survivre. Toute l'histoire se déroule avec cette simplicité naturelle, plaçant l'homme au sein de la nature, et filmant avec grâce et sincérité la nature humaine. C'est l'histoire d'une amitié entre deux êtres humbles, deux êtres qui voient dans cette association une chance d'aller sans doute plus loin, de réussir en mettant leur qualité en commun. Oui, ils n'ont rien, et comme dirait le Chinois, difficile de monter un business sans capital - le Chinois, de tout temps, est clairvoyant. Le capital, ce sera cette vache, et le savoir-faire de Cookie - après, pour la vente, on peut toujours faire confiance à un Chinois... Le récit repose en effet sur presque rien, sur une sorte de tapis de feuilles humides et automnales, mais on tremble tout de même, chaque fois que nos deux hommes vont traire cette vache aux yeux immenses perdue dans la nuit. On tremble parce que ce sont des sans-dents, parce que ce ne sont pas des violents de nature ; alors oui, si jamais le gouverneur les suspecte, si jamais ses hommes de main partent à leurs trousses, on se doute bien que... Mais l'essentiel, là encore, c'est que nos deux êtres restent unis, solidaires, en confiance jusqu'au bout ; c'est sûrement en cela que le film est le plus réussi, le plus fort, avec toujours ce sentiment d'être face à une cinéaste capable de capter le moindre détail, le moindre animal, le moindre bruit de la nature : un film sensible sur un sujet fort délicatement traité. Reichardt reste au top.   (Shang - 11/07/20)

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Trois secondes après le générique, nous voilà chez Kelly Reichardt : plans longuissimes, rythmes très lents, tendance à la contemplation, géométrie du cadre, précision de la mise en scène : avec ce bateau qui traverse l'écran, et qui prend tout son temps pour le faire, on pénètre doucement dans ce film. Et si on arrive à passer la première demi-heure, trop longue, avec cette présentation des personnages qui prend mille détours et se perd dans les sous-trames, on est tout à fait à l'aise dans ces atmosphères automnales, et dans la minuscule histoire qui nous est racontée. On ne s'attendait pas à un ton si doux au vu du contexte (la rudesse de l'Oregon au début du XIXème, les ambiances western, le personnage principal qui a tout de la tête de turc du groupe de chercheurs d'or bas du front) ; mais dès l'arrivée du second personnage, une sorte d'alter-ego à l'opposé du héros, un Chinois débrouillard et sans peur, le film rentre dans une atmosphère d'une tendresse et d'une douceur très agréables. Une histoire d'amitié, oui, de complicité, d'entraide, de solidarité vaille que vaille, entre deux laissés-pour compte qui usent de leurs dons pour s'en sortir. C'est bien la première fois qu'on voit dans un western le héros fabriquer des gâteaux et des clafoutis à la myrtille, pendant que son pote fait le guet depuis l'arbre voisin. Complètement déstabilisés mais charmés par la trame, on se met à côtoyer ces deux-là, passionné par leurs petites aventures (vont-ils se ramasser une bastoss parce que leur cake est trop cher ? la vache va-t-elle ruer ? vont-ils finir trucidés par ce gouverneur en pleine forêt ?). Reichardt ne lâchera jamais la bride de ses intentions toutes de douceur : jusqu'au bout on aura eu cette tendre variation sur l'amitié, avec ces deux anti-héros parfaitement attachants, jamais on ne tombera dans la violence.

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Pourtant elle est bien là, cette violence, intrinsèquement. La forêt, magnifiquement filmée comme un lieu à la fois enchanteur et étouffant, est comme l'écran qui cache autre chose de plus grand, un pays en développement, entre la sauvagerie d'antan et la modernité, entre la démocratie naissante et les guerriers. Même si tout est douceur dans le film, la menace est présente : les compères sont contraints de voler le lait d'une vache pour vendre leurs pâtisseries, en espérant gagner assez d'argent pour fuir et monter une ferme. ; on leur oppose un pathétique droit à la propriété privée, et ils sont menacés de mort dès leur forfait découvert, sans autre forme de procès ; et le passé de King-Lu est marqué par le racisme. En gros, nos deux amis vivent dans un état suspendu, dans une parenthèse un peu enchantée, dans leur petit coin de forêt. L'animisme bon-enfant de Figowitz, qui vouvoie la vache (en tout cas dans les sous-titres français que j'ai eus (très touchants passages)) ramène aux origines, mais les conséquences de leurs actes vont les replonger dans le monde tel qu'il est. C'est ce qu'il y a de plus beau dans le film : il raconte un moment très éphémère. La mise en scène magnifique de Reichardt est pourtant d'une ampleur impressionnante, avec cette nature magnifiée, ces ambiances nocturnes magiques, ces petits riens qui veulent dire beaucoup (un type prend un balai, et on a  compris ce qu'on veut nous dire). Elle parvient à induire l'aspect politique du film tout en faisant mine d'être une fable naturaliste et une ode à la nature et à la douceur. Moi, je dis chapeau.   (Gols - 26/02/21)

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Commentaires
S
"... ami et ami jusqu'à ce que la mort... ne vous sépare même pas." Avec "Old Joy" et "First Cow" Kelly Reichardt nous aura fait un joli diptyque sur l'amitié. Dans le premier celle-ci était vaincue par la clepsydre, effritée par deux chemins désormais bien différents se frottant l'un à l'autre. Dans le dernier cette amitié, brève mais intense, tient, finit enchâssée et scellée par les alluvions des saisons ; même un peu sacralisée : la scène d'ouverture avec ces quatre orbites des crânes joue à joue tournées vers les piafs sautillants et chantants. (Et cette vache n'a rien à envier à Michèle Morgan.)
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