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9 juillet 2020

Les Cannibales (Os Canibais) de Manoel de Oliveira - 1988

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Voir un film de Oliveira constitue toujours un grand moment de singularité, mais voir Os Canibais est une étape de plus dans l'originalité. Le film mêle deux tendances assez fortes dans son cinéma : un romantisme classique très élégant et un baroque délirant hérité peut-être de Buñuel, le film passant progressivement de l'un à l'autre et bluffant par son audace et son absence de compromis. Romantisme pur donc au départ : on est dans l'opéra, et dans les ors feutrés de l'aristocratie. Marguerite est raide dingue du beau et ténébreux vicomte d'Aveleda, mais celui-ci se refuse à elle en raison d'un mystérieux secret inavouable qu'il cache derrière sa triste mine. Dans l'ombre, son rival Don Juan assiste hagard à sa défaite, et fomente un crime affreux. Dans des mouvements de caméra raffinés et des décors de toute beauté, dans une photo aux teintes chaleureuses et portée par des acteurs-chanteurs parfaits, cette première partie ne se cache pas de son formalisme, mais étonne déjà par ses parti-pris. La musique classico-contemporaine de Joao Pares habille d'élégance et d'humour cette histoire tragique, et Oliveira fait le reste avec sa mise en scène magnifique : les scènes nocturnes, artificielles comme à l'opéra et très belles dans leurs couleurs, semblent murmurées par des acteurs en apesanteur, filmés avec amour. Il suffit de regarder le léger changement d'angle sur Leonor Silveira (la photogénie incarnée) lorsqu'elle s'apprête à embrasser le vicomte, prise de chaque côté du visage de celui-ci, pour voir que le cinéaste est très présent dans ce style-là, tout autant que dans le suite, qui lui ressemble peut-être plus. Cette partie, malgré son aspect sombre et gothique, n'en est pas pour autant dénué d'humour, amené notamment par un récitant très expressif qui a le don d'apparaître toujours dans n'importe coin du décor flanqué de son violoniste sautillant. En habit et gants blancs comme il se doit, il commente l'action en nous offrant ce qu'il faut bien appeler une tête de con assez hilarante. Des petites pointes d'impertinence et de décalage qui viennent polluer le drame bourgeois, on soupçonne Oliveira de vouloir un peu secouer le cocotier de l'académisme...

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Dès le départ, le film semble être autre chose que ce qu'il est. Il s'était ouvert avec la troupe de chanteurs débarquant à l'opéra devant le peuple ébahi, façon festival de Cannes. Si certains arrivaient en voiture de luxe, d'autres débarquaient en voiture de prolo, dans un hiatus assez drôle, d'autant que le public les accueillaient avec les mêmes applaudissements extatiques. On sent bien qu'on va avoir droit à de l'ironie. Elle se fera réellement apparaître dans la deuxième partie du film, après que le fameux secret d'Aveleda soit enfin dévoilé : la révélation fait verser le film du côté de la satire surréaliste, de la farce macabre et du massacre politique et social. Peu à peu, ces bourgeois grand crin se transforment, flirtant avec la monstruosité physique après avoir flirté avec la turpitude morale : corps démembrés ou jetés au feu font subitement irruption dans ce monde propre et huppé, et l'humour se fait très grinçant. Critique frontale de l'aristocratie qui se croit supérieure, dévoiement des codes très érudits de l'opéra, mutation de la musique savante en folklore baroque, il y a tout ça là-dedans, et ça se termine par une sarabande autour d'un cochon qui joue du violon, et par une joyeuse anarchie à base de cannibalisme et de critique de la religion (le marrant regard du curé d'abord indifférent à la gabegie qui s'empare de ses ouailles, puis les rejoignant avec appétit). Un final aberrant et kitsch, grotesque et laid, qui finit de nous assurer que Oliveira est resté un gamin malpoli et anar, même s'il sait manier les codes du cinéma en maître : son film est beau et audacieux, notamment grâce à ce choix qui est le sien depuis longtemps déjà, de filmer les personnages de face comme au théâtre, et de travailler sur la symétrie de son écran. Pas mal du tout.

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