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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
26 juin 2020

Elephant Man (The Elephant Man) de David Lynch - 1980

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Vrai plaisir de renouer avec les salles obscures par ce magnifique mélodrame, rénové et restauré avec beaucoup de soins, et donnant ainsi toute sa puissance au noir et blanc gothique de Freddie Francis. Je connais ce film par coeur, ayant trouvé dans ma jeunesse un mélange de fascination, de dégoût, de trouble, d'émotions variées, dans la vie de ce pauvre John Merrick, bête de cirque devenant coqueluche des salons londoniens. Aujourd'hui à la revoyure, ces émotions sont intactes. Certaines séquences m'étaient sorties de la tête, comme l'évasion complètement fantastique de John de sa cage de cirque : une bande de freaks l'aide à s'échapper, faisant verser le film dans une veine onirique, proche du conte de fées, dans lequel on reconnaît sans forcer la patte de Lynch ; non seulement parce qu'on y trouve des nains (et que serait le cinéma du gars sans les nains ?), mais aussi parce qu'il s'y laisse vraiment aller à la sur-stylisation de son imagerie, alors que le reste du film est relativement classique : le film vire brusquement vers un univers à la Browning, se déconnecte du réel et assume totalement son côté symbolique, le temps d'une séquence. Ce n'est déjà pas si mal. De toute façon, le film est tout de même très beau, même si Lynch s'y montre un peu bridé encore et ne se permet que rarement de lâcher les chiens. On a du mal à concevoir que Mel Brooks ait décidé à lui confier la réalisation du film après avoir vu Eraserhead, tant Elephant Man obéit à un cahier des charges historique et mélodramatique très codé, et que le fou aura sûrement du mal à s'y exprimer ; mais Lynch parvient tout de même à imprimer sa marque sur certaines séquences, sur le scénario, et le film peut sans rougir s'inscrire dans la continuité de sa filmographie bien barrée.

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On commence d'ailleurs dans une ambiance tout à fait lynchienne : un flash-back fantasmé où une jeune femme se fait attaquer par un éléphant, dans une sorte de ralenti effrayant. Mais tout de suite après, nous voilà dans les hautes sphères de la bonne société de Londres. On connaît l'histoire : le bon docteur Treves (Anthony Hopkins) est fasciné par le cas de John Merrick (John Hurt), jeune garçon défiguré servant d'attraction dans une foire miteuse des faubourgs. Peu à peu, il va faire accepter à ses collègues, puis à la société, que John est un être sensible et intelligent, et que sous le masque horrible se cachent des sentiments nobles. Ça ne sera pas sans mal, entre les exactions de son ancien patron (Freddie Jones, effrayant), les tentatives de profit d'un employé de l'hôpital et les a-priori des bonnes gens. Mais peu à peu, avec le soutien de Treves, du directeur de l'hôpital (John Gielgud) et de la star du théâtre Mrs Kendal (Anne Bancroft), John devient l'attraction numéro un du tout Londres. Le regard change donc sur cet homme difforme, et ce qui est le plus troublant est que notre regard de spectateur change en même temps : d'abord mystérieux et caché, Merrick concentre toutes nos pulsions voyeuristes, et Lynch sait à merveille dévoiler peu à peu ce "monstre" et mettre en valeur son altérité. Souffle rauque, démarche tordue, visage et corps affreux (gros travail de maquillage), on nous le présente d'abord comme une créature non-humaine, monstrueuse, repoussante. Affublé d'un propriétaire au moins aussi monstrueux que lui, mais cette fois-ci intérieurement (Bytes est un nid de vilenies), évoluant dans le dénuement et la crasse, le personnage a du mal à nous toucher.

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Peu à peu, au fur et à mesure de son apprentissage de la langue, puis des convenances sociales, Jon Merrick devient un homme, et son masque disparaît petit à petit pour révéler sa part d'humanité. Le regard du spectateur glisse alors du voyeurisme à l'empathie dans un premier temps, puis s'inverse totalement, percevant la monstruosité non plus dans la difformité physique, mais dans la moralité de l'époque : les humains qui pourchassent John, notamment dans la scène mémorable de la gare, deviennent les vraies monstres du film. John n'est pas de son époque, trop sensible, trop poli, trop affectueux, là où tout n'est que gabegie morale et turpitudes humaines. Le corps de John agit presque comme un miroir à la Dorian Gray sur le monde qui l'entoure, les difformités du peuple s'y reflétant, alors que la beauté de Mrs Kendal se reflète dans la bonté morale de John. Point culminant de ce troublant rapport intérieur/extérieur : la foule qui se lève pour applaudir John au théâtre, faisant enfin face sans arrière-pensée au monstre, se contemplant en lui en quelque sorte.

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Tout ça est habillé dans une belle mise en scène à la production très soignée : de la photographie magique à la musique (utilisation pertinente de l'Adagio de Barber), de l'interprétation aux petites pointes lynchiennes qui se déconnectent de la réalité (le rêve de Merrick, les moments de solitude du gars avec ces plans tout a fait eraserheadiens sur son profil difforme), tout est réussi dans ce mélodrame puissant, dont on peut reprocher à la rigueur d'aller un peu trop chercher la larme, de manquer de finesse dans le genre. Mais ça fonctionne pleinement, et on quitte la salle avec les yeux humides et notre envie de cinéma pur rassasiée pour quelques jours.

Commentaires
T
A quand Mulholland Dr. ? revu hier avec mon épouse, qui a tilté: Diane … accident de voiture … Camilla … mais bien sûr !<br /> <br /> Diane ne dit-elle pas, en découvrant l'appart de sa tante, que c'est un vrai palais !...
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