SERIE : The Plot against America de Ed Burns et David Simon - 2020

Adapter Philip Roth en série, dans ce milieu de l'efficace et du rentable, peut paraître douteux, même si en l'occurrence on choisit un de ses romans les plus narratifs. The Plot against America raconte en effet une histoire qui se prête au spectaculaire : et si, en 1941, l'Amérique avait élu comme président Charles Lindbergh, héros de l'aviation, mais aussi personnage bien dangereux, très complaisant envers Hitler et ses idées ? Comment le pays aurait-il évolué, quel aurait été le sort des juifs dans cette société gangrenée par un fascisme rampant ? Qui aurait trahi, qui se serait battu, qui aurait accepté ? Une uchronie qui se concentre sur une famille juive aisée en proie à la menace de plus en plus présente de la guerre : il y a le paternel, qui râle en écoutant sa radio mais se montre incapable de réagir (ou trop tard) ; il y a le neveu, indigné et va-t-en-guerre, qui décide de prendre les armes dès le départ ; il y a la soeur, amoureuse du grand Rabbin très complaisant avec Lindbergh et qui ne se rend pas compte du danger ; et il y a les enfants, interdits devant ces sombres événements qui se dessinent, vexés quand on ne les laisse pas jouer avec les petits n'enfants néo-fascistes mais terrifiés quand on déporte la voisine juive. Un bouillon de cultures et d'opinions qui se heurtent, se disputent, se font la gueule, pendant que, insidieusement, les idées antisémites et la menace de la guerre progressent dans le pays.

Une trame un peu artificielle mais efficace, donc, qui permet de parler bien entendu de l'Amérique de Philip Roth, et même en l'étendant un peu de celle d'aujourdhui (si l'Amérique avait été pro-Hitler, n'aurait-on pas un type comme Trump à la Maison Blanche ?). Chaque cas est exemplaire, mais la qualité des acteurs fait oublier le côté archétypal de ces personnages un brin trop symboliques pour convaincre. Du coup, l'histoire tient bien, d'autant que les scénaristes ont choisi de ne pas surenchérir dans les évènements extraordinaires : c'est raconté assez sobrement, sans en faire trop, de façon assez réaliste, et on sait gré aux créateurs de n'avoir pas cédé à la surenchère ou à la sur-narration sur le beau roman de Roth. Du coup, c'est une série assez intello, qui fait réfléchir plutôt que d'épater le chaland à tout prix, ce qui ne peut qu'être une qualité dans l'Amérique de Trump oublieuse de l'Histoire et très fière de son héroïsme pendant la guerre : on était à deux doigts, de ce côté-ci de l'Atlantique, de verser aussi dans le nazisme. Bien racontée, bien jouée, certes, mais malheureusement dotée d'une mise en scène assez catastrophique : la narration en minuscules vignettes qui s'accumlent les unes sur les autres annule toute ambition de suivre les parcours de ces personnages de façon un peu continue. Les scènes, montées hystériquement, ne durent que quelques secondes, parfois pour ne filmer qu'un minuscule épisode sans sens, avant que d'enchaîner dans un montage parallèle dégueulasse sur une autre, puis d'y revenir juste après. Quand on connaît le goût de Roth pour les longs chapitres introspectifs, on tique devant cette construction affreuse, d'autant qu'elle semble obéir à un cahier des charges de série qui n'a aucune pertinence ici : il faut être rapide et spectaculaire, y compris en filmant le vide. A cause de cette très mauvaise idée, et à cause aussi de quelques gadgets de mise en scène, quelques mouvements de caméra inutilement acrobatiques, quelques mégalomanies de cinéastes épatés d'avoir à filmer ce scénario ambitieux et ces acteurs célèbres, la série sombre dans l'indigence, et on oublie la jolie photo, la reconstitution historique bien rendue ou la qualité des comédiens pour ne plus voir que ça. Dommage : il y avait là une solide charpente pour s'exprimer, mais les options choisies ont gâché le truc.