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4 décembre 2019

Normal d'Adèle Tulli - 2019

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Je commence un petit mois consacré au jeune cinéma européen (grâce au Festival du Film européen d'Arte) avec ce petit film gracieux, drôle et parfois inquiétant d'Adèle Tulli, une cinéaste qui s'intéresse particulièrement, visiblement, au genre. La belle pose sa caméra dans les endroits où masculinité et féminité posent question, et interroge, dans l'Italie d'aujourd'hui, les vieux atavismes qui résistent au temps et les automatismes machistes qui collent des étiquettes sur nos braves contemporains. Danse synchronisée ? féminin. Courses de karts ? masculin. Aérobic avec poussette ? féminin. Faire le kéké dans les fêtes foraines ? masculin. Repassage ? Féminin. Salons de la moto, bière et remarques sexistes ? masculin. On a ainsi droit à un catalogue de catégories où notre identité, malgré l'évolution des mœurs, reste toujours inentamée, l'Italie ajoutant qui plus est des siècles de glorification du masculin à la chose. Sans commentaires, sans violence, sans discours hystérique, Tulli filme les éternelles différences entre nos deux catégories, ridiculisant gentiment tour à tour l'une ou l'autre : les femmes sont un peu ridicules avec leurs poses de gym encombrées de gamins, et ont tout d'une famille de canards dans le défilé de ces poussettes ; les hommes apparaissent dans toute leur fatuité et leurs crâneries à deux balles dans leurs poses et leurs pauvres cascades en manège de fête foraine. Le film est doté d'une jolie construction : dans une première partie, on assiste à une différenciation totale des sexes, les uns étant complètement absents des activités des unes, et vice-versa ; puis on les filme ensemble, mais assez perplexe les uns face aux autres, comme deux mondes qui se côtoient sans se mêler (la danse, le salon de moto où les danseuses aguicheuses sont protégées par des barrières) ; puis à la fin, un mélange des deux sexes, pour le pire (un enterrement de vie de jeune fille à grands renforts de bites en gâteau et de chippendales salaces) ou le meilleur (un mariage homo, qui annihilerait peut-être enfin les clichés).

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C'est vrai que ça ne va pas non plus beaucoup plus loin que ça. Le discours est simple, parfois un peu naïf, et Tulli ne prolonge pas le simple constat que la "genrification" est éternellement et tristement présente dans notre quotidien. Mais ce qui nous laisse un peu sur notre faim côté fond est compensé côté forme. Le film est très chouette, non seulement bien cadré et bien monté, mais surtout doté d'un vrai regard sur le monde, qui, outre le sujet, montre une personnalité singulière. Le travail sur le son notamment, est impressionnant : de la musique, certes, mais surtout toute une symphonie de sons étouffés, qui augmentent la solitude de ces personnages, et qui sont la plupart du temps en porte-à-faux avec ce qu'on est en train de regarder. Sur les manèges de la fête, par exemple, des bruits étouffés, comme si on assistait de très loin à la chose, comme si on entendait le vent plus que les rires ou la foule. On pense souvent, dans ces moments-là, à Disneyland mon vieux pays natal, dont Normal utilise les mêmes effets sonores étranges, décalés, hantés, inquiétants. La mise en scène est elle aussi intrigante, Tulli étant très forte pour isoler les détails en gros plans d'une scène pour les rendre parlants, symboliques, emblématiques. Tout ça fait un bizarre objet, parfois trop superficiel pour vraiment convaincre, parfois suffisamment taquin pour emporter le morceau. Le talent indéniable, c'est qu'il y a un regard, une façon de contempler ses contemporains avec un mélange de pitié, de répulsion et de tendresse qui finit par rendre le film assez beau : ces plans très touchants sur une petite fille en train de se faire percer les oreilles et qui prend la chose... comme un homme, ou ceux presque fantastiques sur ces dames subissant des tortures en instituts de beauté nous en convainquent. Agréable et chafouin.

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