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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 décembre 2019

Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles - 2019

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Toujours dit qu'il fallait éviter de s'installer dans un bled paumé de la pampa brésilienne, moi. Les gens de Bacurau ne l'ont pas compris, eux, et ont créé une communauté petite mais soudée, pauvre mais solidaire, où quand une vieille meurt, tout le village l'accompagne à la tombe, où un type fait office de journaliste local, où des vigiles ont été placées à l'entrée pour prévenir les dangers. Quand commence le film, le danger menace effectivement : après avoir traversé une route encombrée de cercueils, Teresa arrive à Bacurau pour y trouver sa grand-mère décédée, la localité rayée des cartes et le village harcelé par de curieux envahisseurs. Ceux-ci tuent au hasard les habitants, sans but. Peu à peu, on commence à comprendre les tenants et aboutissants de la chose : de riches Américains se sont offert un safari exotique, dont le but est de dégommer un village entier à grands coups d'armes à feu. La résistance va s'organiser dans le village, qui en a vu d'autres, et la violence se réveiller à nouveau, après les années de dictature et de sang.

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Dans un premier temps, on ne comprend rien à ce film. Autant vous le dire. Le premier quart d'heure est même très confus, Mendonça Filho mettant son point d'honneur à ne nous donner les explications qu'au compte-gouttes, et préférant déployer un style "réaliste poétique" très dépaysant et un peu destabilisant. L'intrigue se situe dans un futur proche, les drones planent au-dessus de Bacurau, les morts fleurissent sans explication, on peut partir dans des scènes très poétiques (l'enterrement de la vieille) puis tout à coup se faire remettre les deux pieds bien sur terre (le premier carnage). Bref on est perdus. Et puis, petit à petit, le truc se met en place, avec une cohérence parfaite, sans jamais pour autant passer dans le vraisemblable ou le logique : on est bien dans un cinéma latino-américain, où la trame sert de fable, où la symbolique est plus importante que les détails de l'intrigue, où les personnages ne sont que des images avant d'être des êtres de chair. Ces deux motards maléfiques qui rentrent dans le village sont les premiers messagers de la malédiction qui s'abat sur la village : d'abord passifs, les habitants de Bacurau vont s'unir, aller retrouver des hors-la-loi ayant pris le maquis, transformer leur village en piège, et attendre l'envahisseur. Et on comprend vite qu'on a face à nous un film politique, qui ne s'embarrasse d'aucune pudeur quand il s'agit de filer son allégorie : c'est le combat de l'homme primitif (tous ces gusses nus qui attendent l'ennemi) contre l'homme civilisé donc corrompu ; c'est le combat du pauvre contre le riche ; c'est le combat des pays dominants sur les pays dominés : c'est le combat des salauds contre les bons, et point. On pense souvent à Garcia Marquez dans cette façon d'aborder les thématiques les plus ardues (le sang, la résistance, la violence) par l'image, par l'allégorie, sans jamais pour autant éviter le sujet (le film est hard, parfois gore). Chaque scène peut ainsi être lue politiquement, mais jamais le film n'est lourd ou pesamment imagé : il prend au contraire les traits d'un thriller spectaculaire, remuant, plein de suspense (on pense aussi, de temps en temps, à Carpenter).

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Mais c'est surtout au western qu'on pense, dans cette façon très repérée d'organiser une petite communauté sans un sou dans l'attente de la horde de bandits qui va venir les tourmenter. Bacurau est très agréable dans sa façon de redistribuer les cartes du genre, de mêler la SF, le thriller, le gore, la comédie et le western tout ensemble, tout en restant formellement assez classique. Bien qu'assez mal photographié (l'image granuleuse est moche), bien que joué parfois sans génie (pour un Udo Kier parfait en monstre froid, on a un chef de gang assez grimaçant ou une Sonia Braga un poil en roue libre), bien que parfois mal équilibré et confus, il reste une façon très intelligente et originale d'aborder le sujet de la violence éternelle et de la rébellion contre les puissants. Et il exprime une telle énergie, un tel élan de cinéma, qu'on serait bien sot de bouder son plaisir. (Gols 11/10/19)


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Ne boudons pas notre plaisir, non, tant le fond est en effet louable : on ne peut que se frotter les mains de voir cette population sauvagement sous influence (une petite pilule locale du bonheur) résister face à ces barbares ricains armés ; alors oui, certes, le sang amenant le sang, il faut reconnaître que les autochtones ne feront pas dans la demi-mesure rendant ainsi une sorte de (sombre) hommage à une rébellion antérieure... Ça ne se fait plus de couper la tête des gens - et ce même si certaines au bout d'une pique auraient sans doute de nos jours fière allure, mais passons... On sera donc d'accord dans le fond, disais-je, mais résolument un poil déçu dans la forme. Oui, la narration s'avère au début assez brouillonne mais cela n'est pas le plus dérangeant. C'est plus le fait que Filho et Dormelles aient bien du mal à s'intéresser à un personnage en particulier : ils butinent constamment au sein de cette communauté (film choral, donc, pourquoi pas) comme si cela ne valait pas tellement le coup de chercher à approfondir tel ou tel caractère ; c'est un peu dommage car on avait l'impression au départ que les cinéastes cherchaient à donner un peu d'épaisseur à ces petites gens. Même l'intrigant Lunga arrive comme un cheveu sur la soupe (on a guère plus de précision sur ses combats du passé...) et finit un peu, à l'image de la remarque de la grand-mère dans le village, par être réduit à sa tenue vestimentaire. Du coup cette population, pleine d'un passé, d'une histoire, d'une culture (comme ce musée que l'on ne découvre qu'au moment du carnage), peine à prendre sa pleine grandeur aux yeux du spectateur. De même, après avoir multiplié les pistes, on peut être un peu désarmé par le fait que l'on passe toute la dernière partie du film (soit une trentaine de minutes) dans ce petit jeu de la chasse à l'homme (et du chasseur chassé) qui, si elle tient en haleine, n'est qu'une longue suite de règlements de compte sanglants ; on lâche les chevaux au niveau de l'hémoglobine mais sans ajouter de sens à un quelconque discours. Les chasseurs ont tué des gamins, du coup il n'y a pas de raison de réfléchir quand il faut leur faire la peau. Point. C'est d'un manichéisme un peu basique et primaire... Après, oui, il y a pas mal de petits moments "spéciaux" qui donnent du cachet à la chose (l'enterrement sous ecstasy avec ce cercueil qui déborde de chagrin, ce guitariste à la coule, troubadour du coin, toujours prêt à faire un petit riff à la moindre occase, ce drone-soucoupe (un mélange de vintage et de moderne) véritablement sorti de nulle part et qui n'est malheureusement pas assez exploité dans le trouble qu'il suscite), ces deux motards sortis du magasin avec leur air goguenard (là aussi, les couillons couillonnés...)... Bref, pas mal d'éléments intrigants, créatifs mais qui ne permettent pas de donner à ce film toute la "puissance" que son propos de fond aurait mérité. Une belle tentative plaisante (et sanglante), oui, ce sera tout. (Shang 04/12/19)

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Commentaires
C
Je n'ai pas vu le film mais en lisant votre commentaire, j'ai d'abord pensé à "Antonio-das-Mortes" de Glauber Rocha (allegorie plutôt que réalisme). A vérifier cependant.
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