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2 mars 2019

Unrest de Philippe Grandrieux - 2017

Regarder un film de Grandrieux n'a jamais été une expérience de tout repos, et ce n'est pas Unrest qui inversera la tendance. Plus ça va, plus ses films s'éloignent de la narration pour devenir des formes pures, plus proches finalement de la danse, ou de l'installation, que du cinéma dans son sens le plus traditionnel. Ce fim est d'ailleurs une commande du CNN de Montpellier, d'abord expérimentation scénique avant de devenir les 50 minutes qu'on a devant les yeux. Trois temps en rythment la projection :

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1/ une surimpression d'images, d'une part une forêt dense et de l'autre une femme qui se branle. Le hiatus fabrique une sorte de corps minéral et un trouble s'installe : on ne sait plus trop sur quoi l'oeil se fixe, sur cette nature hyper fournie qui envahit l'écran, ou sur cette femme qui jouit, recouverte par elle. Ajoutez à cela une musique expérimentale assez envoûtante, et vous comprendrez que nos sens sont titillés dans un rapport très fin avec les images, et notamment avec ce corps offert comme une évidence. Les premiers signes d'inquiétude (le grand thème de Grandrieux depuis quelques films) apparaissent, dans la luxuriance trop riche des plantes, dans la douce provocation des images de sexe, dans cette façon qu'a cette femme de s'offrir au regard, de se donner.

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2/ dans une lumière blafarde au milieu de l'obscurité, le corps nu est maintenant suspendu dans le vide, dans une posture complètement abandonnée et pourtant très tendue. L'aspect fantastique du film prend désormais beaucoup de place, puisqu'on est tendu en même temps que la danseuse par ces postures aberrantes, anti-naturelles, et par la crudité de l'image. Pas d'esthétisme là-dedans, au contraire : un corps manipulé façon bondage (mais sans les liens) et considéré comme une forme à la fois souffrante et maternelle. On admire la technique de la danseuse, on s'inquiète de la douleur qu'on lui fait subir, ça fonctionne à mort. La musique s'est tue, mais Grandrieux organise une bande-son glauque, une de celles dont il a le secret, faite de souffle, de sons étouffés et discrets, qui fait véritablement peur.

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3/ la belle a retrouvé sa robe, mais le film continue dans "l'étrange inquiétude" chère à Freud. Toujours dans cette lumière directe et moche (des néons ?), elle effectue cette fois-ci quelques gestes, un demi-tour, des mains qui se cachent les yeux, dans un ralenti très bizarre, très travaillé. On a l'impression qu'elle attend quelque chose qui se situerait dans l'espace plongé dans l'obscurité, et l'orientation de son corps inclut aussi le spectateur dans cette attente, dans cette posture passive-active. Une tension qui se rapproche du fantastique pur, et qui travaille même le genre avec génie : dans la lenteur, dans la solitude, le film cultive l'angoisse, conscient que l'immobilité est tout autant, voire plus, vectrice de peur que l'hystérie. Après la quasi-hypnose de la deuxième partie, on est brutalement réveillé par ce dernier tiers.

Grandrieux, de toute évidence, ne sait pas exactement ce qu'il cherche. Mais il cherche. Et c'est très beau de voir ainsi un mec bosser en direct, travailler les corps et les ambiances dans un rapport très franc avec l'interprète, creuser les atmosphères pour tenter de rendre compte de cette angoisse métaphysique qui ne le quitte pas. Alors, oui, on est assez loin des films de Jean-Paul Rappeneau, mais il y a toujors dans ce cinéma là quelque chose de pur, d'évident, qui peut avoir un rapport avec les peurs de l'enfance, avec la fascination pour le mystère de la vie (il s'agit aussi de regarder un corps qui s'expose, qui jouit, et d'enregistrer son propre désarroi face à lui), avec le questionnement sur le désir et la peur. Un moment loin de tout, bien entendu précieux comme l'est tout le cinéma du bougre.

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