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Shangols
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11 février 2019

Leto (Лето) de Kirill Serebrennikov - 2018

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Vous trouviez que manquait au cinéma le film qui retracerait les débuts du célèbre groupe néo-punk Kino, fleuron du rock soviétique ? Serebrennikov s'en occupe. Voici donc une biographie qui montre comment Viktor Tsoi, charismatique leader du duo (au départ), gravit les échelons du monde de la musique, pour finir par percer, acquérir son statut culte... et s'éteindre dans sa jeunesse, sans avoir réussi à traverser les frontières, et sans avoir jamais atteint les oreilles de Gols. Cette ascension est racontée par la bande, puisque le film fait mine de s'intéresser tout d'abord à un autre chanteur, Mike, véritable mentor de Viktor, qui acceptera quasiment de sacrifier une notoriété pourtant prometteuse pour que s'épanouisse le talent de son élève, moins évidemment talentueux mais plus fort que lui. Le début de Leto est très impressionnant : on voit, dans de longs plans très aériens, la difficulté de faire du rock en URSS dans ces années-là, les mille et une entourloupes dont il fallait user pour pouvoir taper du pied dans les concerts, pour faire passer un texte un peu rebelle ou simplement pour faire entendre la voix de la jeunesse dans un monde sclérosé, censuré et autoritaire comme c'est pas permis. Le film s'ouvre sur un concert de Mike, dans lequel s'introduit un groupe de filles, et on découvre tout une sous-culture foisonnante, bordélique et pleine de jeunesse, certes empêchée dans ses goûts mais bel et bien là. On admire cette mise en scène très ambitieuse, cette caméra qui suit sans coupe tout un groupe, et tout ce que ça dit de cette période. Malgré les interdictions et les brimades, rien n'arrêtera le mouvement du rock'n roll, ce que prouvera la scène suivante, magnifique séquence en plein air où les baisers s'échangent au même rythme que les tarpés, au rythme des chansons hésitantes de ces rebelles à cheveux longs, qui chantent comme des casseroles mais avec la conviction de la jeunesse. Ces chevelus écoutent Lou Reed, T-Rex, Bowie, Joy Division, et tentent de transformer leur admiration en chansons : c'est laborieux, c'est maladroit, mais dans cette scène lumineuse, on capte toute l'énergie de ces jeunes gens. Magnifique.

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Comme est magnifique cette séquence dans le métro, où une scène de censure débouche sur un clip impressionnant de rage et de fougue : les acteurs, tout à coup, changent de registre, sortent du film pour entonner une version de "Psycho-killer" toute borgnole, chantée faux, mais qui fait chaud au coeur. Tout en se faisant péter la gueule par les miliciens et conspuer par les voyageurs bien-pensants, nos petits jeunes emmerdent ta reum avec une santé communicative, et le film accompagne cette métamorphose : la pellicule se strie de dessins-graffitis qui transforme le réel en une bande dessinée trash. Leto proposera ainsi plusieurs scènes de décrochages chantés, et ce sont les meilleures du film : au son des tubes américains de ces années-là (ça sent un peu parfois le néo-punk pour les nuls, mais on retrouve avec plaisir les chansons géniales de Bowie ou de Reed), le film s'évade et touche de très près ce qui fait la sève de cette rébellion, cette musique qui se fait malgré tout, ces gosses qui parviennent malgré tout à se faire entendre. En plus de cette mise en scène virtuose, composée de longs plans (presque) séquence qui rendent compte des atmosphères festives et enfumées, de l'intense activité de ces poètes amateurs (capables d'embrasser une fille, de se rouler un pétard de boire une bière et d'analyser un texte de Blondie dans le même mouvement), ces scènes font sortir le film de la simple biographie filmée qui le menace souvent.

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Trop souvent, malheureusement. En opérant un subtil passage entre le bonheur des débuts et l'amertume du mûrissement, en changeant de sujet principal (de Mike, on passe à Viktor), en modifiant même le point de vue (de l'admiration de Mike pour Viktor, on passe à celle de Viktor pour Mike), le film perd en intensité, et devient plus souvent qu'il ne faut un simple biopic à deux doigts de l'académisme. Autour de la belle Natalia, véritable pivot de cette histoire, les couples valsent mais le film devient trop sage et oublie ses inventions. Il semble même se chercher un peu, ne plus trop savoir quoi raconter, l'histoire universelle de rebelles qui veulent créer dans l'adversité ou celle particulière d'un rockeur qui gravit les échelons. Comme la musique, il faut le reconnaître, n'est pas terrible (Kino fait un truc qui mélange Joy Division et Simon & Garfunkel, c'est un peu soporifique), on se désintéresse peu à peu de cette histoire principale. Et on se concentre sur deux magnifiques seconds rôles : celui du petit punk toujours bourré, toujours dans l'ombre, sorte de trublion pique-assiette qui finira par se suicider dans une des scènes les plus audacieuses du film (de l'art de traverser l'écran et de dire adieu) ; et celui du commentateur, silhouette déconnectée de l'histoire qui vient aux moments clé nous ramener sur terre ("ceci n'est jamais arrivé" est son mantra). Ces pointes d'invention formelle, ces deux personnages, et la forme souvent originale font oublier qu'on est finalement dans un film assez classique, et qui peine encore à trouver son style. Quoi qu'il en soit, un objet prometteur, ça va de soi. (Gols 12/01/19)

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Je ne sais, définitivement, qu'ajouter à la chronique de Gols. Même sentiment de début brûlant, prometteur, original, libre et même sentiment par la suite de scènes répétitives, trainantes, vaseuses... Si les clips dynamitent le film c'est surtout que ce qu'il tend à raconter tourne un peu en rond ; la critique du gouvernement est un peu courte (les "censeurs" de la programmation de la maison du rock’n’roll finissent même par se montrer des plus bienveillants envers ces drôles de petits chevelus énervés), la bluette entre Viktor et Natacha un peu trop molle (alors qu'elle irradiait le film dans la première partie) et la musique de Kino, comme le soulignait mon camarade, devient de plus en plus plombante comme pour tenter d'étouffer dans l'œuf toutes ces belles promesses. Comme le film oscille entre plusieurs thématiques (musicales, sociétales, romantiques...), on perd un peu de vue le fin mot de cette objet qui tourne finalement à la petite biopic un peu trop confortable. Viktor et Natacha, eux-mêmes, finissent par se censurer et on a un peu l'impression que les délires libertaires de ce monde underground sont finalement bien sages et dociles - comme si on prenait plus de plaisir à vouloir fantasmer cette rébellion « punk and roll » qu'à la vivre pleinement. Du coup je sors avec une petite pointe de déception de ce film "d'art et essai du monde" dont j'attendais un peu plus de folie, d'envie, d'émotion. Un cinéaste à suivre malgré tout, en effet, comme le veut la formule consacrée quand on est un peu à court d'idée... (Shang 11/02/19)

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