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1 décembre 2017

Mise à mort du cerf sacré (The Killing of a Sacred Deer) de Yórgos Lánthimos - 2017

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Vous avez douté deux secondes, au vu des films précédents, que Lanthimos était le grand génie du XXIème siècle ? Erreur pardonnable, mais que le gars s'occupe de corriger en vous proposant Mise à mort du cerf sacré, film aussi mégalo que son titre ronflant. C'est bien simple : il mixe dans son film, pourtant un peu innocent, tout ce que le cinéma vintage peut avoir de motifs voyants, y ajoute sa patte arty contemporain, souligne tout ça avec un peu de musique sacrée, et réalise sûrement le film le plus fier de lui-même depuis Terrence Malick et Gaspard Noé. Le pire étant, ça me coûte de l'affirmer, que ça marche plutôt très bien, et qu'on se laisse embarquer dans cet objet hyper-prétentieux.

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Scénario amusant de film fantastique au menu : un chirurgien a fait mourir un de ses patients sur la table d'opération. Le fils de celui-ci, ado inquiétant, lance alors une sorte d'anathème sur le toubib : ou il choisit un des membres de sa famille et le tue, dans une loi du Talion plus ou moins juste, ou c'est toute sa famille qui meurt, après paralysie et saignements d'yeux. D'abord incrédule, le chirurgien va se rendre compte que la malédiction est pourtant en place, et va devoir se livrer à un combat moral insoutenable : le fils ? la fille ? la mère ? Un postulat que le gars voudrait bien nous faire passer comme sacré, métaphysique, capital, mais qui s'avère finalement être un peu gadget. La faute sûrement à son improbabilité (vous avouerez que cette situation advient peu souvent), mais aussi au développement que Lanthimos lui fait prendre : on est dans un thriller, et les implications morales de la situation passent derrière le suspense. Lanthimos réussit donc un brillant film anxiogène, mais rate son tour d'être le nouveau Nietzsche (dommage, il l'eût bien souhaité au passage). Les acteurs, tous excellents, jouent ce scénario bizarre avec une conviction qui les honore, et tous, des stars (Kidman et Farrell) aux enfants (Raffey Cassidy, absolument parfaite) en passant par cet adolescent opaque, effrayant, traînant sa monstruosité sous des dehors de désinvolture (Barry Keoghan) sont la plus-value de ce film qui les traite comme de la chair à canon. Le plus intéressant dans l'histoire est la relation étrange qui se dessine entre l'ado et Farrell, mélange d'attirance sexuelle, de rapport paternels, de culpabilité, de fascination pour le monstre, de fantasme de fils parfait qui marche parfaitement dans la première partie. Il y a des inspirations pasoliniennes dans cet ange diabolique qui arrive dans une famille pour en révéler les failles et les pulsions cachées. Scénario moins sérieux qu'il n'y paraît, donc, mais assez captivant.

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Mais alors, au niveau de la mise en scène, le gars ne sait plus où pisser. Chaque plan est un travail de cadrage alambiqué, d'effets tordus, de perspective faussée, aucun n'est "innocent", et le mot sobriété semble absent du dictionnaire de Lanthimos. La plus forte influence, indéniablement, c'est Kubrick ; non seulement dans ces travellings avant aériens le long des couloirs de l'hôpital qui rappellent Shining, mais aussi dans cette façon de cadrer les décors intérieurs en focale longue, comme dans 2001 ou Eyes Wide Shut. Il en résulte des plans impossibles, où planchers et plafonds semblent presque se toucher, où le cadre saisit un décor dans son entier, avec tous ses figurants, où les acteurs semblent installés sur des pentes à 70 degrés. Un aspect "théâtre de marionnettes" qui agace un peu : on dirait que Lanthimos a pris les mêmes lentilles que Kubrick, mais qu'il les utilise sans nécessité, voire pour survoler son petit monde comme un démiurge un peu moraliste. Ne parlons pas des plongées vertigineuses à angle droit et des variations de point de vue digne de la jonglerie pure. Dès le premier plan (une opération à coeur ouvert filmée en gros plan, et envoyez du Bach par là-dessus), on sent que le gars traite le gothique comme un des beaux-arts, et on en a pour notre argent. On a juste envie qu'il se calme de temps en temps, qu'il arrête de sortir les carafes d'argent pour les remplir d'eau du robinet, et qu'on s'attelle un peu à son sujet plutôt que de nous faire croire qu'il tient le film du siècle. Tout ça se termine un peu en eau de boudin (la fin est décevante, vue l'attente créée), et montre la mégalomanie de son auteur : confiez-lui le scénar de Pouic-Pouic, il vous fait du Tarkovski. Un film agréable à regarder, mais qui n'a pas su quels moyens utiliser pour quelles fins.

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