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6 mars 2016

Lettre d'Amour (Koibumi) (1953) de Kinuyo Tanaka

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Kinuyo Tanak est la première femme cinéaste nippone. Il s'agit de son tout premier film. Et il est, je pèse mes mots, absolument extraordinaire. Des retrouvailles amoureuses avec un suspense à la Hitchcock (je m'emballe, mais il y a en tout cas des gros plans (sur les mains en particulier) dignes du maître), des séquences fortes sublimement découpées (je ne vais pas vous faire un cours de grammaire cinématographique mais Tanaka a l'art de changer d'angle, dans un timing parfait avec les paroles et les émotions des personnages), une interprétation absolument fabuleuse, le réservé Masayuki Mori (Reikichi) et Yoshiko Kuga (Michiko) en tête. On est dans l'après-guerre nippon dans un petit appart qui domine la ville : s'y trouvent deux frères, l'un particulièrement débrouillard et actif (il va monter une librairie/maison de la presse avec les envois des GI), l'autre plus terne et réservé (Reichiki fait des traductions pour son frère et écrit des lettres d'amour en anglais pour les petites pépètes japonaises qui se languissent de leur GI et (surtout) de leurs dollars). Reichiki vit en fait dans le passé : tous les jours, il se rend dans les stations de métro pour croiser par hasard celle qu'il aimait avant-guerre, Michiko... Elle s'est mariée pendant la guerre et devenue veuve et depuis... ? Et puis, ce qui devait arriver arriva : un jour, alors qu'il se repose dans l'arrière-salle du magasin, il entend une jeune femme qui demande à son collègue d'écrire une lettre à un soldat américain ; il croit reconnaître Michiko, se lance à sa poursuite dans la ville, et finit enfin par la retrouver. Retrouvailles muettes sur un quai de gare, la porte du train se ferme comme pour mieux les cadrer, le train démarre en les laissant sur le quai et on enchaîne avec un flash-back sur leur enfance – poh poh poh : c'est au millimètre, c'est une merveille de mise en scène, un cours de montage.

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A partir de là, le film va enchaîner les séquences fortes (le scénar est signé du grand Keisuke Kinoshita d'après un roman de Fumio Niwa) qui nous laisseront de plus en plus pantois : l'explication entre Reichiki (cinq ans de frustration qui remontent à la surface) et Michiko est terrible (et livre encore quelques plans fabuleux - photogrammes ci-dessus), la discussion entre Michiko et le frère de Reichiki (toujours là pour soutenir son brother), tous les deux avec leur grand parapluie noir, est fantastique (magnifique sens des perspectives et du rythme, là encore), l'engueulade du collègue de Reichiki (mais putain, ouvre les yeux, tu es son rédempteur - et prend une baffe, tiens, au passage, pour te remettre les idées en place) est puissante, la scène où trois harpies-putes relancent Michiko est sidérante, le final, enfin, borzagien, est un summum de tact et de sobriété, possède une force d'évocation qui vaut tous les happy end à la con. Comme la musique d'Ichirô Saitô tombe toujours au bon moment, on finit par se demander si ce premier essai n'a pas tout du petit chef-d'oeuvre méconnu. Force est d'avouer en tout cas que techniquement, stylistiquement, le film est parfaitement réglé et vient parfaitement souligner l'intelligence du scénario.

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Il nous dit quoi, d'ailleurs, ce scénario : tout est centré autour de ce personnage un peu tristoune de Reichiki - s'il semble prendre plaisir (il en rajoute à mort dans le romantisme à deux boules) à écrire de fausses lettres d'amour à ces GI bien naïfs (ce qui permet aux prostiputes de se faire un joli petit pécule a posteriori), il fait beaucoup moins le fanfaron dès qu'il est directement concerné par la chose. Lorsqu'il apprend que Michiko a eu une liaison avec un Américain, le ciel lui tombe sur la tête... Qu'elle ait dû tout faire pour survivre, il s'en fout royalement, tout ce qu'il voit c'est une faute, un pêché, le mot est dit, qui écrase toute possibilité amoureuse future. L’irréparable, dirait Roché. Et surtout une réaction de fierté très mâle et méchante... Son entourage a beau essayer de faire entendre raison à Reichiki, on sent bien que le gars est vidé, comme s'il était passé entièrement à côté de sa vie... On espère que, on croise les doigts pour, mais c'est loin d'être gagné d'avance... On ne sait trop si ce film bénéficie de toute la sensibilité féminine de Tanaka mais le moins qu'on puisse dire c'est que toutes les scènes sonnent juste et semblent avoir été mûrement réfléchies en amont au niveau du découpage. Un must à découvrir, je m'en vais de ce pas mettre sur ma table de chevet l'un des cinq autres films (seulement) réalisés par Tanaka (son suivant a été écrit par Ozu et Saitô, on devrait s'y retrouver).

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