Le Voleur de Pêches (Kradetzat na praskovi) (1964) de Vulo Radev
Mon compère me faisait le gentil reproche de voir des films un peu confidentiels ; je suis donc allé chercher dans ma remise quelque chose de plus classique avec ce grand film bulgare (oui) qui conte les amours interdites entre deux yaourts - pardon, je m'emballe - entre la femme d'un colonel bulgare (qui ressemble terriblement à Lénine - il semble avoir d'ailleurs autant d'empathie pour le genre humain) et un prisonnier serbe à la fin de la première guerre mondiale (on fête le centenaire, c'est un film qu'il serait bon de ressortir pour un festival spécial WWI). Je sais, dit comme ça, il n'est pas sûr que je fasse des émules. D'autant que pendant les trente premières minutes, soyons honnête, il ne se passe quand même pas grand-chose. Si, pourtant. Un homme défie les barbelés du Colonel pour aller lui voler des pêches ; alerté par un tortin système à base de fils et de cloche, une jeune femme surprend notre malheureux prisonnier la main dans le sac - ou sur la branche si on préfère. Ivo (Rade Markovic) a de faux airs de Mastroianni, Lisa (Nevena Kokanova) a les traits d'une jeune beauté bulgare (m'est avis). Entre eux c'est forcément un amour impossible d'autant qu'ils sont chacun dans leur "camp", enfermé, chacun sous la protection d'un cerbère (même si la discipline dans le camp des prisonniers laisse un peu à désirer). Qui dit amour impossible, dit forcément possible sinon ce film bulgare n'aurait guère d'attrait. Et c'est le noeud, pour ne pas dire le drame, automatiquement.
Des hommes las, une guerre qui s'éternise, des officiers bulgares qui ont des airs de marionnettes déshumanisées... Que manque-t-il? De la passion, bien sûr, de la passion. C'est la seule raison de vivre, sinon autant mourir comme tout un chacun comme un rat dans une tranchée - ou retranché. Lisa a beau ne pas vouloir se l'avouer lors de la première rencontre, cet homme qui s'introduit par hasard chez elle... c'est la chance de sa vie, la chance de connaître (enfin) l'amour... On sent qu'elle est du genre à résister et fera les pas de danse classiques de toute femme qui se respecte : un pas en avant (un baiser qu'elle ne peut franchement refuser), un pas en arrière (c'est tout de même abuser), un pas en avant (eh puis merde, je suis mariée à Lénine et j'ai Mastroianni dans mon pêcher - Dieu, pardonnez-moi mais comprenez-moi, je ne suis pas la Vierge...). Il faut bien reconnaître que ce sont essentiellement ces rencontres entre les deux amants discrets qui rythment le film (même si toutes les autres séquences permettent de planter ce décor d'une ville et d'êtres humains en ruines - une passion interdite dans un paysage dévasté à la fin d'une guerre, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au sublime Printemps dans une petite Ville, juste pour dire que j'ai des références, hein...). Alors que la musique se fait vibrante, on tremble pour nos deux amants qui se jettent l'un sur l'autre comme des affamés et qui risquent à tout moment de se faire surprendre. A-t-on encore le droit d'aimer sur cette terre, se demande-t-on ? Il faudrait partir mais ce n'est pas raisonnable, il faudrait arrêter mais autant essayer de stopper la mer avec le poing... Pêché avoué, à... Non cela ne marche pas non plus. Quelques moments tendres arrachés à l'enfer et ensuite ? Radev ne nous avait pas mis en condition pour un grand film comique et l'on craint le pire pour l'issue de cette histoire bulgare qui risque de mal tourner... Un film beau et déchirant, qui saigne comme un amour tentant de se glisser aveuglement entre des fils barbelés (c'est une métaphore). Le plus grand film bulgare ? Oh ben sûrement.