Les Chemins de la haute Ville (Room at the Top) (1959) de Jack Clayton
Le récit d'un opportuniste qui, lorsqu'il se tient finalement debout au sommet de son charnier, se rend compte qu'il est passé à côté de l'essentiel, qu'il a tout raté ? Il y a de cela. Pas facile d'être un fils d'ouvrier lorsque l'on veut faire partie d'un monde où l'on naît avec une cuillère en argent dans la bouche... Le gars Joe Lampton (Laurence Harvey) a pourtant tout pour être satisfait : un ptit boulot peinard à la Mairie, une gueule d'ange et une Simone Signoret qui n'a pas encore perdu toutes les plumes de son casque d'or (c'est elle qui insiste, hein, pour dire qu'elle est vieille (à 38 ans...), alors qu'elle resplendit encore... sous bien des angles ; à noter deux choses en passant : la Simone fut oscarisée pour le rôle et elle demeure l'actrice française la plus photogénique avec une cigarette - à égalité avec Catherine Deneuve, je vous le concède, autre artiste dans le genre). Même si la Simone est mariée à un riche couillon, elle est prête à tout pour suivre notre jeune homme. Seulement ce dernier, aveuglé par son complexe de classe (le prolo voit haut), aimerait bien marier la Susan (jolie ptit bout de femme inconsistant), fille d'un millionnaire (son père et sa mère sont parfaitement campés - rien que la façon dont la mère prononce "Lampton" mérite un Oscar). Le Joe séduit la Simone, puis la Susan, revient à la Simone, puis à la Susan... On sent venir de loin la tragédie.
La bonne idée de Clayton, c'est de ne pas essayer de rendre son personnage principal forcément sympathique... Il vient de la classe ouvrière, a été prisonnier de guerre... Il a une belle gueule donc on devrait avoir de l'empathie pour lui, hein... Ben non, il est surtout ambitieux, opportuniste, merdeux - ces types, je les sens d'une narine, je ne les connais que trop. Oui, bien sûr, ces bourgeois anglais le traitent comme un moins que rien, se moquent de lui à la première occasion. Ce n'est pas une raison pour faire preuve de la même crétinerie douce qu'eux. Mais le Joe est prêt à tout pour arriver à ses fins... La seule personne qui pourrait le sauver, c'est la Simone : douce, sereine, totally out of this circle, French. Le bonheur à portée de la main, il est là : dans les cigarettes qu'ils s'échangent, dans la couche qu'ils partagent, dans la complicité (a "loving friendship") qui est la leur. Mais le Joe est décidément con comme un lampion et ne mérite qu'une chose : finir dans le caniveau - il y fera un tour avant de rebondir socialement, certes, mais en ayant perdu au passage sa dimension humaine, en ayant vendu son âme. Stupid Joe qui payera le prix de sa vanité.
Clayton est très fort lorsqu'il s'agit de nous montrer frontalement les clashs sociaux (le Joe n'est pas épargné : ses interlocuteurs, maniant souvent mieux la langue que lui, faisant preuve d'une répartie à toute épreuve, le mouche salement en public à plusieurs reprises... Le Joe encaisse bon an mal an, confiant en son travail de sape par rapport à la Susan...) ainsi que les confrontations brutales entre deux amants : la séquence de la dispute entre Simone Signoret et Laurence Harvey cloue littéralement le spectateur sur place ; c'est là que la Simone gagne son Oscar en une manche, jouant aussi bien de sa beauté (la sublime femme qu'elle fut et qu'elle est toujours), que de ses premières rides (elle a dû encaisser des coups (plus moralement que physiquement) et l'on sent déjà chez elle la femme qu'elle deviendra, ne pouvant cacher éternellement ses blessures intimes sur son visage - une Simone "entre deux âges", même si l'expression n'est pas très classe, au sommet de son art). Laurence Harvey est pour sa part tellement froid lors des scènes d'amour (aussi bien avec Simone qu'avec Susan) que celles-ci n'ont rien de vraiment sulfureux (film interdit au moins de 16 ans - ahah ces puritains d'Anglais quand même...) ; heureusement, là encore, c'est la Simone qui apporte par son jeu, par ses regards, toute la tendresse nécessaire à de telles scènes, face à un acteur froid comme une lame de couteau (c'est son rôle, hein...). Une ambition sociale qui mène au suicide, au double suicide - une tragédie que Clayton met parfaitement en scène... pour son coup d'essai derrière la caméra (et déjà assisté par son compère Freddie Francis qui aime à jouer sur la profondeur de champ). Prometteur, forcément...