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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
1 février 2013

Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow - 2013

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Efficace. C'est sûrement le principal éloge que l'on puisse faire à ce film rigoureux et éminemment respectable. Il en fallait, de l'efficacité et de la rigueur, car le sujet est délicat : raconter les années consacrés à la traque de Ben Laden, depuis le 11 septembre (subtile évocation sobre, sur écran noir, qui ouvre le film) jusqu'à sa mort (supposée, eheh). Tractations militaires, interrogatoires de témoins, fausses pistes, difficultés hierarchiques, on nous conte par le menu les aléas de la chose, avec un sens de la véracité qui ne se dément jamais : on y croit, tout simplement, et la documentation impressionnante qu'a dû consulter le scénariste fait son effet. Chaque détail semble vérifié et revérifié, quitte à sacrifier le spectaculaire pour se livrer à un quasi-documentaire. C'est un peu exagéré, et on sait bien que Bigelow ne va pas se contenter des faits : son film reste vraiment passionnant à regarder, non seulement parce qu'on y découvre un des faits importants de l'histoire récente, un de ces volets que l'on s'efforce toujours de garder secret, mais aussi parce qu'elle donne à cette histoire, qui pourrait être laborieuse (regarder des tractations dans les bureaux de la CIA, bof bof) une vraie texture humaine.

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La dame excelle à dessiner les personnages, et une fois ceux-ci suffisamment étoffés, à les confier au meilleur acteur possible. La distribution est impeccable, depuis l'héroïne (Jessica Chastain, une petite bombe mais pas seulement) jusqu'aux différents espions, militaires et hommes de main, tous intéressants, tous loin des clichés. On sait Bigelow depuis longtemps passionnée par les hommes entre eux, par les militaires ; mais elle a rarement autant réussi ses portraits que là, grâce à cette poignée de personnages virils mais fouillés, regardés avec passion et amour, qu'ils soient décideurs (Jason Clarke, qui semble porter la fatigue de la torture dans ses traits) ou hommes d'action (Joel Edgerton, impressionnant).

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Peut-être est-ce un poil long, je ne dis pas ; peut-être que les deux premières heures auraient mérité un traitement un peu plus enlevé. Mais elles contiennent quand même quelques moments de grande tension (les attentats successifs, la torture, les fausses joies). Bigelow est excellente pour faire monter le suspense d'une séquence, pour nous tendre vers le point de climax : séquence au rythme et au montage superbe où un des pontes d'Al Qaïda doit rencontrer des membres de la CIA dans un camp militaire ; le danger y est palpable, mais on ne sait pas d'où il va surgir. Le film contient aussi une intéressante réflexion sur la torture (et est sujet à polémiques, visiblement), puisqu'il y est dit clairement que, dès lors qu'Obama condamne celle-ci et l'interdit, les services secrets ne parviennent plus à obtenir les renseignements désirés. Oui, dit le film, la torture est efficace, beaucoup plus que les tractations diplomatiques en tout cas. C'est discutable, oui, mais le film semble tellement désireux de rester dans la réalité des faits qu'il est bien obligé d'enregistrer cette triste vérité.

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La dernière demi-heure, la plus belle, est tendue comme un arc, et réconcilie avec toutes les lenteurs passées. On y suit pas à pas l'évolution d'un groupe de militaires dans un bâtiment où pourrait se trouver Ben Laden. Pièce par pièce, on tue des gens, on progresse, on a peur, et une fois encore Bigelow impressionne par son sens du détail (chaque explosif placé sur une porte est filmé, chaque réaction est prise en compte dans sa durée). On est entre le jeu vidéo en caméra subjective (ces visions nocturnes sont bien cinégéniques) et le reportage choc, et on est proprement immergé là-dedans. Bien belle réussite, donc, pour ce film qui se veut à la fois réaliste et spectaculaire. (Gols 29/01/13)


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Efficace, oui, je dirais aussi clinique et froid. Bigelow est décidément une très bonne artisane pour nous retracer point par point l’enchaînement d’événements basés sur de « first hand informations », et sur ce point, l’ami Gols a dit l’essentiel. Après, je comprends le questionnement de notre lecteur Yossi sur le fait que Jessica Chastain soit une « bombe ». Que physiquement elle ait des atouts qui séduisent mon co-blogueur, c’est un fait (c’est son type, I think, sans dévoiler des secrets intimes… je ferme la parenthèse) ; après c’est quand même l’exemple même de la gâte psycho-(f)rigide aussi sexuée qu’un hélicoptère de dernière génération… Obnubilée par la traque de Ben Laden, on voit bien qu’elle se refuse à se laisser aller à tout épanchement : lorsqu’elle apprend la mort de son amie, elle reste prostrée trente secondes (le thirty) et reprend ses esprits dans la foulée pour se remettre sérieusement à taffer. De même, avec les scènes de torture (la fin justifie les moyens puisqu’on obtient le résultat escompté), on a l’impression que Bigelow tente de faire passer le message qu’il n’y a pas lieu « en l’état » d’éprouver une quelconque  mauvaise conscience (comme un écho troublant à une déclaration récente sur la volonté de « détruire les terroristes »). Point d’état d’âme, ne cherchons même pas à comprendre comment on en est arrivé là, le but est d’annihiler l’ennemi, point final. Le film est finalement à l’image de cette absence totale d’état d’âme où toute émotion est volontairement refoulée, évacuée. Du coup, on assiste en effet à une reconstitution, à une illustration assez virtuose mais qui évacue toute réflexion, tout questionnement… Lorsque le générique tombe, on reste alors un peu comme deux ronds de flan à se dire « Et ? »… Bien belle machine cinématographique hollywoodienne parfaitement huilée mais dont l’intérêt reste finalement un peu obscur (le dark), vue l’absence (le zéro) totale d’aspérités (émotionnellement et intellectuellement)… Parfait pour un "dossier de l’écran" - on reste dans le factuel pur... -, c’est pas forcément, à mes yeux, un compliment en soi… (Shang 01/02/13)

Commentaires
S
Allez, j'en remets une couche for the road : <br /> <br /> - les soldats français reproduisent ce qu'ils voient dans leur cinéma à eux : romantisme, manque de moyen, faiblesse des dialogues, prise de tête, nostalgie... Je passe sur les soldats suisses, c'est toi le spécialiste de Godard. <br /> <br /> - Maya n'a po de mec, au moins ça simplifie tout. Disons pour faire court qu'à la place de "first hand" facts j'aurais préféré des "first hand" humans et non des personnages d'un bloc dénués de toute psychologie ce qui apparemment arrange parfaitement Bigelow pour son film d'images "brutes" - sauf si tous les Américains ne sont désormais plus que d'un bloc - de foie gras. <br /> <br /> - Bon d'abord je ne voudrais rien, dis donc... Je constate juste qu'elle semble n'avoir aucun avis sur la question (mais passons, c'est pas le débat) comme d'ailleurs aucun des protagonistes (petite moue de Maya lors des scènes de torture, oups, bon, allez, basta). Je ne lui demande pas de penser à ma place juste de penser ou de donner à penser - là, la cocotte ne se mouille en rien 1) en faisant un pseudo-film "style reportage" qui n'en est bien sûr pas un (la séquence de l'attentat aux Emirats, once again...) et 2) en montrant des individus qui n'expriment jamais aucun avis sur la question. Trop facile. Je ne lui demande pas qu'elle m'explique, merci, je lui demande juste un peu de contenu, de fond... <br /> <br /> - Les militaires n'ont pas de psychologie, cool. Je me demande d'ailleurs pourquoi on les soigne ensuite. Montrons les faits, hein, en faisant croire que cela n'est pas du cinéma... <br /> <br /> <br /> <br /> Le Bigelow est plus américain que le Lafosse (oui...) mais en rien plus intelligent. Le Lafosse n'est pas moraliste (on est d'accord ?) - il tente juste, par des images, de montrer comment on peut aboutir à un effondrement de l'intérieur : ce qui est retors et subtile, disais-je. Bigelow, elle, évacue comme par enchantement tout questionnement, toute polémique (Il y a la torture sur le terrain. Obama dit à la télé que c'est mal et hop fin de tout débat) ce qui est finalement un choix moral de cinéaste que tu le veuilles ou non : ne perdons pas de temps à discuter, restons à la surface des faits, le reste tout le monde s'en fout en fait. Du pur divertissement donc sous couvert d'un style "cinéma vérité". Discutable quand même.
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G
- les soldats américains reproduisent ce qu'ils voient dans leur cinéma à eux, oui : virilité, "propreté" des assauts, absence de scrupule, efficacité. Un peu comme Scarface, tu vois ? Les attaques des djihadistes sont différentes, c'est normal. Dans la réalité c'est ainsi, les attaques terroristes sont "sales", les attaques américaines "propres", question de moyens.<br /> <br /> - Maya est un pur robot ? je ne crois pas (cf le dernier plan). Et puis, oui, c'est une nuance. La plupart des réalisateurs auraient montré la vie privée de la gorette, son mec qui l'attend le soir, ce genre de conneries, l'auraient montrer en train de craquer, et on aurait eu droit à une humanisation de ce personnage, pleine de doutes (mon Dieu, je sacrifie mon couple, diantre je suis insensible à ce que je vois...). Bref un film de Robert Redford... Que Bigelow la déshumanise, en fasse un être obnubilé par son but (macabre, qui plus est) me paraît subtil, justement. En tout cas, nouveau dans le genre. Et ça n'enlève rien à la réflexion ; c'est juste nous qui éprouvons, pas Bigelow.<br /> <br /> - Tu voudrais que Bigelow juge les scènes de torture, elle ne le fait pas, elle ne nous dit pas de condamner ou d'acquiescer. Oui, certains soldats peuvent craquer devant ces actes, mais ce n'est pas le propos. Encore une fois, Bigelow ne nous dit pas quoi penser ("La torture c'est mal")<br /> <br /> - Tu voudrais qu'elle montre l'épaisseur psychologique des soldats ? Mais ils n'en ont pas ! et c'est pas l'endroit pour le faire : ils font un boulot, horrible, mais c'est comme ça. Quelle pensée profonde voudrais-tu qu'ils aient : "oh zut, j'ai tué des gens, c'est pas bien" ?<br /> <br /> Bref le Bigelow me paraît plus intelligent (et américain) que le Lafosse, parce qu'il nous prend pas pour des idiots à qui il faut tout expliquer, et parce qu'il n'est pas moraliste.<br /> <br /> Les glaçons vont fondre, mazette !
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S
Pardon, ce n'est pas dans l'ambassade mais dans les "tours résidentielles" de Khobar en Arabie Saoudite - mai 2004. La séquence dure 30 secondes (je viens de la remater), certes, mais la caméra tangue comme une malade - pour traduire la "sauvagerie de l'attaque", ouais, mais pur effet de forme quand même (les actes sont suffisamment parlant en soi et il n'y avait pas de "journaliste embarquée" filmant l'attaque)... Les actions des Américains sont "héritées du cinéma hollywoodiens (et donc plus cinégénique)", dis-tu - ouh là, j'ai envie de dire "gloups" (les actions des Iraniens, héritées de leur cinéma, sont donc minimalistes, serais-je presque tenté de dire)... Hum. Enfin, là où je ne suis surtout pas d'accord c'est 1) dans le Lafosse tu dis qu'elle craque "sans qu'aucune explication ne nous soit donnée" : ben si, elle craque totalement psychologiquement tant sa vie est contrôlée par cet/ces homme(s) et finit par commettre un acte de pur désespoir... que dire et faire ressentir d'autre ? 2) tu dis dans le Bigelow qu'il y a de la "véracité", ok, style "docu", j'accepte et de la "nuance" ? Quelle nuance ? Maya est un pur robot obnubilé par sa cause. Le mec qui torture est vanné : je ne te parle de "psychologiser" les scènes de torture (montrons-les, voilà, c'est fait), juste d'attendre une réaction humaine, une faiblesse (ah ouais quand ses singes sont tués, admettons : c'est un peu court comme qui dirait...), un doute de sa part, une lézarde, une nuance quoi... Bon les soldats, eux, ils se congratulent après l'opération comme des joueurs de foot - putain bien joué le "buteur" (si ça, c'est pas du jeu mot... oups) : on n'a pas l'habitude de s'intéresser à la psychologie de ces "cons de militaires" (guillemets) c'est un fait (même si on me dit dans l'oreillette qu'il arrive qu'ils soient traumatisés... Ouaf... célébrons juste la victoire, le recul et la réflexion, c'est pour les ptites bites). Bref le Lafosse, en un mot, me paraît dix fois plus subtile (et belge) que cette machine de guerre bigelowienne. Bon putain, moi, je sors les glaçons, je ne vous attends plus - ah oui, c'est moi qui suis parti de France puis de Chine, ca va, vous allez pas me faire un procès non plus eheh...
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G
Je me souviens pas de ces images de traviole sur les terroristes ; moi je garde le souvenir d'un film très mesuré, où on peut même parfois être en empathie avec "L'Axe du Mal", ce petit terroriste de second niveau qui se fait torturer, par exemple. Le fait que les Américains aient des méthodes plus pro que les djihadistes, et que leurs actions soient héritées du cinéma hollywoodien (et donc plus cinégéniques) n'enlève rien àn cet anti-manichéisme, c'est un fait voilà tout.<br /> <br /> Pour ce qui est du Lafosse, je t'accorde un point, c'est un peu vrai. Mais quand même les deux films ne se ressemblent pas beaucoup. Dans le Lafosse, on nous montre une fille qui pète les plombs, et on nous dit rien d'autre que : oui, mais c'est parce que sa vie est plate et lisse. Un fait divers, quoi, qui n'apporte rien au schmilblick : quand ça se termine, on a juste vu une nana qui tuait ses gosses, sans qu'aucune explication viable ne nous soit donnée, ce qui est un peu court. Bon. Dans le Bigelow, on a un drame politique "partagé par tous", il y fallait donc de la nuance et de la véracité. Certes, le film ne dit rien non plus, mais finalement nous montre un monde complexe, un problème politique complexe. Pour moi, Bigelow a bougrement raison de ne pas psychologiser les scènes de torture. J'ai l'impression que tu aurais voulu qu'elle nous montre le gars tourmenté par ses actes. Or, aussi triste que cela soit, le gars à mon avis ne fait que son taff, avec le professionnalisme et l'absence de remords qui vont avec. C'est terrible, certes, mais je crois que c'est l'expression de la triste vérité : les gusses qui s'étaient fait prendre en photo à Guantanamo avce leurs otages n'avaient pas l'air d'avoir de problèmes de remords avec leur conscience ! Le gars est juste vanné, oui, et c'est sûrement ce qu'est un tortionnaire après avoir torturé un type.<br /> <br /> Bastien, on t'attend, effectivement.
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S
En fait, en repensant à cela (le manichéisme), je ne suis pas si sûr. Les terroristes comme les soldats ricains tuent, effectuent leur mission, on va dire, sans se poser de question "éthique" ou autre... Les terroristes (lors de l'attaque de l'ambassade notamment) sont filmés tout de traviole avec une image cradasse. Les soldats ricains, dans la scène finale, sont comme tu l'as dit, bcp plus cinégéniques ("on filme (du) pro") avec leur rayon vert... Donc il y a quand même un choix formel (et non dans le fond du discours...). J'ai repensé aussi à ce que tu disais à l'époque sur "A perdre la raison" - le fait de simplement montrer un fait divers sans chercher de la part de Lafosse à faire quoi que ce soit de plus (ce que alors tu lui reprochais) : au moins dans le Lafosse, il y a cette dimension psychologique des personnages qu'il parvient à faire ressentir (la pression mentale exercée par Arestrup qui souffle le chaud et le froid quand ça l'arrange, le personnage féminin qui se lézarde de l'intérieur (femme je vous aime, pour moi un vrai grand moment de "jeu"...). Dans ce film, toute psychologie est comme niée - ainsi le gars qui torture est simplement un peu vanné de son taff, c'est tout, comme si Bigelow ne cherchait absolument jamais à savoir qu'elle était vraiment le ressenti de chacun... Bref, je te trouve plus "complaisant" sur le coup avec le Bigelow qu'avec le Lafosse. C'est pas une critique, ni une attaque en règle, cela mériterait juste une bonne discussion à bâtons rompus avec le Bastien qui aurait surement qqchose d'intéressant à dire sur le sujet... une discussion devant un bon tonneau de bière, cela s'entend.
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