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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 mai 2011

Pays de Cocagne de Pierre Etaix - 1969

vlcsnap_2011_05_02_22h24m14s88Les habitués du cinéma bon enfant de Pierre Etaix risquent d’être étonnés, voire choqués, à la découverte de son dernier opus (à ce jour). Pour moi, ce changement de ton sans concession m’a ravi, alors que, moi aussi, j’aime beaucoup la tendresse passée du compère. Aucune tendresse ici, aucune sympathie pour ses contemporains : en filmant la France franchouillarde des années 60, celle qui beugle sur les routes du tour de France et envahit les campings l’été, il affiche au contraire un cynisme violent à l’égard de ses compatriotes. On y perd en douceur, on y gagne incontestablement en force.

 

Le prétexte : aller filmer la France profonde, donc, sur les pas de la « tournée Europe 1 ». Au programme, radio-crochet et concours de mât de Cocagne, pompiers hilares, grosses dondons en maillot de bain, prolos bedonnants, et ringardisme constant. Un documentaire qui devient peu à peu un témoignage à charges sur vlcsnap_2011_05_02_22h47m07s253toutes les laideurs de notre monde moderne : publicité vulgaire, urbanisme à outrance, inculture crasse, beaufitude à tous les étages, les Français et leur pays sont passés à la moulinette de ces scènes de la vie estivale, une moulinette particulièrement féroce et sans pitié. Ce qui en ressort est simple : les Français sont des veaux, qui ne pensent qu’à s’entasser sur les plages, applaudir comme des crétins le passage de stars oubliées (Maurice Biraud !), fermer les yeux sur le monde qui les entoure (le passage où on leur demande leur opinion sur la famine dans le monde vaut des points) et s’assoupir devant la télé. Certes, on peut trouver que Etaix sélectionne avec un peu trop de roublardise ses témoins, ne s’attachant qu’aux plus épais d’entre eux, une vieille qui ne comprend rien à rien, un pauvre chanteur moisi sans culture, tout un défilé de jeunes filles écervelées complètement connes… Mais le fait est que ça fonctionne diablement si vous avez un tant soit peu l’esprit au ricanement. Ca fait parfois du bien de se moquer des gens, reconnaissons-le, et l’occasion nous est maintes fois donnée ici de se taper sur les vlcsnap_2011_05_02_22h24m02s222cuisses devant les a-priori imbéciles de ces Français moyens. Oui, Etaix se place au-dessus d’eux, allant même jusqu’à s’opposer à eux à la toute fin du film en leur demandant de définir son humour et en leur proposant un ultime sketch sous la ceinture ; mais, malgré la gène qu’il y a là-dedans, on jubile de le voir piétiner ainsi le consensus mou des moutons qui peuplent notre bon pays. D’autant que cette colère révèle beaucoup sur son auteur, d’ordinaire si doux, en nous montrant un visage inattendu (et dépressif ?) d’Etaix.

 

Il y a en plus un très beau travail de montage là-dedans, que ce soit au niveau des images ou au niveau du son, faisant se rencontrer des plans de façon virtuose et audacieuse : des pieds enserrant un mât de cocagne montés avec les pieds du Christ sur la croix, une affiche de Pompidou en parallèle avec une pub pour Trigano, un type bouffant comme un porc remplacé par un singe mangeant exactement comme lui, une voix off qui vante les bienfaits des nouveaux HLM sur des images de désolation urbaine… Avec un parti pris, une vlcsnap_2011_05_02_22h18m24s172subjectivité qui confinent à la propagande, Etaix utilise le pouvoir du montage en vrai jongleur. Ses nombreux gros plans sur les faces ébahies, avinées, torves, laides, de ses contemporains est un mélange de Eisenstein et de Dino Risi, à la fois beaux dans leur cadre et la force qu’ils dégagent, et horribles dans la vision qu’ils donnent de la masse. Cynique, désespérant, oui, mais drôle et finalement punk : on n’attendait pas Etaix ici.

Commentaires
G
Merci, Garry. J'ai pensé à un moment que Etaix n'était pas très conscient lui-même de la méchanceté de son film ; peut-être après tout qu'il a voulu faire rigoler en toute innocence. Peu importent ses intentions, au final, le résultat est là. Bravo pour votre analyse du plan des compères dont on ne voit que les jambes, même si je continue à penser que Etaix (et ça a été une qualité pour moi dans ce film) se désolidarise de ses contemporains, et se moque d'eux avec beaucoup de hauteur.
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G
Complètement d'accord avec votre super analyse, Gols! Je l'ai vu la semaine dernière à la Cinémathèque de Toulouse et j'ai été complètement sidéré par la noirceur de ce film. Même si je ne dirais pas qu'Etaix se place au-dessus des gras vacanciers, au contraire, en se confrontant à eux, j'ai l'impression qu'il cherchait plutôt à montrer qu'il ne valait pas mieux (j'en veux pour preuve également les plans des deux gars qui discutent sur la plage dont on ne voit que les jambes : on peut mettre n'importe quelle tête dessus, même celle de Pierre Etaix). Bref, au début je ricanais, à la fin j'ai franchement rit jaune, quoi.<br /> Remarque, quand Pierre Etaix était venu présenter "Le Grand Amour" deux semaine plus tôt, quelqu'un lui avait posé une question sur "Pays de Cocagne" et en gros seul truc que le gars ait répondu, sans jamais se départir de sa gentillesse, c'était quelque du genre "oh vous savez, je veux juste faire rire les gens, je me suis juste efforcé de trouver des gags à partir des images et ça m'a pris beaucoup de temps." Comme s'il n'avait réglé aucun compte à ses contemporains! Il devait bien rigoler, au fond.
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G
On est bien d'accord, Mariaque, c'est de la honteuse propagande, c'est trop violent, c'est trop "supérieur". Mais quand je l'ai vu hier soir, je ne sais pas, j'étais d'humeur destructrice et rock'n roll, j'ai donc vraiment aimé la méchanceté de la chose. Je pensais surtout à Risi pour ces portraits en gros plans de tronches tordues et laides (légèrement débiles, même) et ce goût immodéré pour le crasseux. <br /> Pour moi, la limite d'Etaix dans ses autres films, c'est sa trop grande gentillesse, qui confine au consensuel, au lisse, au sans importance. C'est pourquoi j'ai aimé ce pamphlet-là, que je n'attendais pas.<br /> Un commentaire bien urbain, en tout cas, Mariaque. Soyez Elu entre no lecteurs.
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M
Je suis moins client que vous sur cet Etaix-ci (que je trouve trop manipulateur, mais vous ne dites pas autre chose non plus en soulignant les malices aussi virtuoses que propagandistes du montage). <br /> Toutefois votre billet est de bien belle facture, au point que j'aimerais être davantage d'accord avec lui (sauf pour Risi qui, même s'il subit les mêmes attaques pour son A,S & M que ce Pays-là, prend une distance confortable en ne s'attelant, fabuliste acide, "qu'à" de la "fiction").<br /> <br /> Continuez comme ça, les aminches.
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