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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
25 mars 2011

L'Isolé (Lucky Star) (1929) de Frank Borzage

Borzage a tout de même le don pour filmer ces petits moments pleins de légèreté où une jeune femme et un jeune homme tombent amoureux l'un de l'autre sans en avoir l'air. Toutes les scènes centrales entre la môme Janet Gaynor et le menhir brisé Charles Farrell sur son fauteuil (Borzage, Gaynor, Farrell, un beau triptyque pour cette troisième et dernière collaboration tous ensemble, sauf erreur) possèdent un charme dingue. On retrouve cette fois-ci, comme barrière à leur amour, le poids de la famille de la donzelle - méchannteeu mèrreu - qui considère cet handicapé comme un homme perdu. Certes la chtite Janet à un peu de mal à passer outre dans un premier temps mais rapidement son personnage au coeur tout boulversifié prouvera encore une fois que l'amour peut être miraculeux, dit-il en essuyant un reliquat de larme.

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Janet endosse cette fois-ci le rôle de la pauvrette de la campagne complètement sous le joug de sa mère. Elle livre le lait à une bande de gars qui bossent pour Amérique Telecom et ne tardent pas à déclencher une esclandre entre le boss qui se la pète et notre Charles qui répare les fils. Rapidement c'est le combat tout en haut des poteaux, une scène peu banale et résolument casse-gueule. On sent que la chtite prend un certain plaisir à faire monter la tension - jeu de mot -et à voir ces deux hommes se battre sous ses yeux - enfin, plutôt au-dessus, d'ailleurs. La baston tourne court, car notre Charles capte un message urgent annonçant que la guerre est déclarée. Nos deux hommes partent au front en France et la Janet se fend d'une petite lettre pour les deux hommes; on se rend compte rapidement que le boss est un gros branleur qui roule des mécaniques alors que le Charles est le type qui a bon fond avec un coeur ça comme. Mais ça manque po, c'est ce dernier qui est blessé gravement aux jambes alors que le second revient en plastronnant, gardant sa tenue militaire, alors même qu'il a été viré de l'armée. La chtite Janet ne tarde point à sympathiser avec le gars Charles auquel elle rend visite à la moindre occase : certes notre gars est sur un fauteuil mais il lui prouve qu'il peut se dépatouiller tout seul grâce à son ingéniosité. Il va peu à peu faire éclore la Janet, un tantinet souillon, de sa chrysalide lors d'une séquence d'anthologie : le shampoing aux oeufs - pas du Dop, attention -, mais une douzaine d'oeufs qu'il va gentiment exploser sur la tête de la Janet parce qu'elle le vaut bien. C'est mimi comme tout et il entreprend même, dans un second temps, de lui faire entièrement sa toilette; il lui demande son âge, la Janet répond "presqu'dix-huit ans" et ça coupe notre Charles dans son élan alors qu'il s'attaquait déjà au dos de la blouse. Il pousse un oups tellement fort qu'il résonne à la ronde ce qui est assez étonnant pour un film muet.

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Charles lui offre des ptits cadeaux, elle rayonne, mais le hic survient lorsqu'elle décide d'aller au bal. Elle part toute pimpante laissant notre gars les fesses sur son fauteuil; ce dernier en son absence fait des efforts surhumains pour tenter de la rejoindre sur des béquilles : malheureusement il s'explose la tronche méchamment isole05sur les lattes de sa baraque - j'ai senti comme un creux dans le bide à ce moment-là, compatissant. Bien sûr, c'était écrit, la Janet croise le boss au bal, ce dernier se jette sur elle, la soulève du sol pour la faire valser, c'est un véritable enlèvement moral, on a presque envie de foutre des baffes au gars si on avait pas peur de casser l'écran. Le boss soudoie la mère pour marier la fille et alors qu'il l'embarque à l'église lors d'une tempête de neige qui ferait passer la fin des Parapluies de Cherbourg pour un lancer de confettis, notre Charles part à leurs trousses : il marche à l'arrache dans ces petits chemins enneigés, grâce à une volonté surhumaine qui ferait passer mes 20 derniers kilomètres au marathon pour du trampoline. A la fin il est debout, tenant la Janet solidement sur son poitrail, on a les jambes coupées. "I thought I was making you over and... you've made me over. Good as new". On comprend par forcément l'anglais mais on sent bien que l'instant est magique. Plus fondant qu'une boîte de caramels oubliée sur le poêle.   (Shang - 24/03/09)

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Ce film m'était resté comme un éblouissement quand je l'avais vu dans mes années adolescentes. Eh bien, comme mon camarade, je le confirme : on touche là à la magie pure, et on sent bien qu'on a affaire à un cinéma qui vous rentre directement dans le coeur, sans passer d'ailleurs forcément par le cerveau, et vous reste dans l'oeil à jamais. Je vais laisser dès maintenant mon lyrisme de Monoprix de côté pour inscrire la seule réserve que je verrais là-dedans : j'ai un peu de mal avec les personnages de Borzage en général, et dans celui-ci en particulier. Pour moi, la naïveté que le réalisateur s'évertue à leur donner est exagérée, et j'ai un peu l'impression de voir des caractères tellement puérils qu'ils sont parfois à la limite du "simple d'esprit". Ici, c'est Gaynor qui me pose problème surtout : elle est censée avoir 18 ans, et elle se comporte comme une enfant de 4 ou 5 ans au mieux (toujours eu du mal avec les femmes-enfants, hein, c'est peut-être moi, aussi) : si le gars Farrel tourne sur sa chaise roulante, la gamine se marre comme une clé à mollette ; si on lui présente une jolie robe, elle ouvre ses grands yeux de biche comme si on lui montrait une sucette géante ; quant au sexe, grands dieux, elle ne semble même pas en avoir entendu parler. Cette propension à puériliser (?) ses héros, qui était déjà présente dans Seventh Heaven mais côté masculin, gâche pas mal de la beauté des personnages. Fin de la réserve : ici, on peut admettre qu'elle est justifiée, tant le film joue habilement sur la dualité entre l'innocence perdue (l'Eden représenté par le couple croquignolet) et le Mal qui rôde (qui commence par le handicap du héros, et se poursuit avec la guerre et ce méchant prétendant odieux). Farrell et Gaynor = Adam et Eve, ou Paul et Virginie : on peut comprendre qu'ils soient un peu rudimentaires.

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Pour tout le reste, il faut reconnaître que le film assoit. La splendeur des décors, exemple de la grande époque des studios avec ces pans entiers de nature reconstitués avec un mélange de précision et d'artifice de conte de fées ; l'écriture impeccable du scénario, qui privilégie effectivement les tout petits moments de rien du tout à une quelconque trame (finalement presque absente) ; la variété des tons, entre la comédie et la tragédie, entre les éléments de mélodrame que sont la mère ou les scènes de guerre et le comique de situation ; même le moralisme vieille école de l'histoire, qui confine parfois au réactionnaire (ça, ça énerve Shang, mais que voulez-vous ?), moralisme tellement assumé et sincère qu'il finit par toucher ; et enfin les acteurs, avec une préférence très nette cette fois pour Farrell (ce qu'il fait avec son corps cassé, avec ses mains, et surtout avec ses yeux (le regard qu'il pose sur Gaynor quand elle lui avoue un petit mensonge vis-à-vis de sa mère, excellent)) : tout est grand, beau, inoubliable. Borzage trafique des gros plans sur Gaynor qui rentrent immédiatement dans l'oeil comme des icônes : la scène où elle se métamorphose après son lavage de cheveux, les regards qu'elle pose sur son amoureux, le visage douloureux qu'elle affiche quand elle est rattrapée par la fatalité...

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Et puis les dernières bobines, avec cette tempête de neige qui rehausse encore d'un cran le ravage mélodramatique de la trame, avec cette silhouette de Farrell sur ses béquilles dépassant ses limites pour reconquérir son amour, avec cette cruauté sadique avec laquelle Borzage repousse l'accomplissement des retrouvailles, sont parmi les plus grands moments du cinéma muet (je vous conseille d'ailleurs de couper la musique chiante qui accompagne le film pour contempler ça dans le silence total : le Cinéma avec 14 C majuscules). Le dernier plan, archétype du symbolisme sans façon de Borzage, montre le couple s'embrassant sur un rail de chemin de fer : on l'entrevoit à travers des larmes de bonheur, et on quitte ce film absolument subjugué par cette puissance indéfinissable. Je demande confirmation à mon collègue plus connaisseur que moi en borzagisme : le meilleur Borzage ?   (Gols - 25/03/11)

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à l'aborzage ! clique

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