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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
22 février 2018

Shanghai Express (1932) de Josef von Sternberg

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Film incontournable pour tout shanghaien qui se respecte, cette oeuvre de Von Sternberg magnifiquement photographiée avec une Marlène Dietrich qui ne l'est pas moins se révèle tout de même, au niveau du scénar, terriblement faiblarde pour ne pas dire parfois un peu creuse. On embarque cela dit au départ de "Peiping" (Pékin, ouais) avec une certaine excitation vue la poignée d'individus occidentaux - Anglais, Allemand, Français - particulièrement grincheux qui font partie du voyage : entre racisme et machisme exacerbés, on est servis, fusil !; parmi cette brochette de gaziers qui fleurent salement le colonialisme, notons un Allemand qui exploite des mines en Inde - traduire, un commerçant d'opium (il aura droit à un retour de bâton, le bougre), une mémère avec chienchien qui joue à la bourgeoise, un missionnaire anglais aussi agréable qu'une couronne d'épines, un joueur qui fait des paris sur tout ce qui bouge... Le Français qui... parle uniquement français (une constante) s'en sort lui plutôt bien, vu qu'il ne comprend rien à ce qui se passe autour de lui et se passe généralement de faire des commentaires acerbes (l'honneur est sauf, pour une fois...). Ce petit monde voyage aux côtés d'un officier et docteur anglais (Clive Brook, un peu terne) qui a les pieds sur terre, la sublime Marlène, donc, dans le rôle de la fameuse Shanghai Lily, femme légère, a priori, écumant la côte, la troublante Anna May Wong, incontournable star sino-américaine vintage, et enfin Charlie Chan himself (Warner Oland) - appelé ici Henry Chang (ça change), en commerçant eurasien qui cache bien son jeu... C'est un bordel sans nom dès le départ avec cette vache qui bloque les rails, et on se régale d'avance devant ce somptueux train qui trace sa route au travers de cet incroyable décor joliment reconstitué. Le scénar va malheureusement un peu trop rapidement s'essouffler.

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Chacun y va de sa petite réflexion caustique au milieu de ces Chinois patiemment serviles, mais ce petit monde aura tendance à faire un peu moins le mariole quand le train sera pris d'assaut par les forces révolutionnaires chinoises. On suivra en particulier les abus de pouvoir de ce fourbe d'Henry Chang et surtout l'histoire d'amour qui ne veut point dire son nom entre deux vieilles connaissances, Shanghai Lily et le doc. Malheureusement, difficile de ne point être dubitatif devant les grosses ficelles du scénar : entre ce chef révolutionnaire entouré au départ de quinze mille soldats qui se retrouve soudainement esseulé (la Chinoise abusée est revancharde) et ce couillon de doc qui met des plombes et des plombes à ouvrir les yeux devant le sacrifice de la sublime Marlene, l'intrigue a une méchante tendance à pédaler dans la semoule. A défaut de se passionner pour cette histoire (un film de train sans un meurtre, c'est po cool), on s'attache aux gros plans sur la Dietrich qui minaude à donf pour notre plus grand plaisir : un subtil petit sourire qui flotte constamment sur les lèvres, un regard qui ne cesse d'errer comme si la belle restait souvent perdue dans ses pensées et puis cette fameuse voix si chaude qui ferait ronronner un chat à distance... Von Sternberg multiplie les gros plans sur son héroïne à la moindre occasion (ah ces sourcils ultra fins qui ne s'arrêtent nulle part, ah ces pommettes qui captent somptueusement les ombres comme un pommier au printemps (je délire peut-être un peu)), capte certains gestes en jouant avec la lumière (Shanghai Lily en prière) et la Marlene (tout comme Anna May Wong), qui fait toujours preuve de sang froid quand les hommes sont si lâches, reste le véritable point de mire de ce voyage en terre chinoise.

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Comme l'entente entre le cinéaste et cette divine créature ne s'arrêta point en si bon chemin, on salive d'avance en pensant à la découverte de leurs autres traversées cinématographiques (outre les éternels L'Ange bleu, L'Impératrice rouge et Morocco déjà vus par le passé, il reste apparemment de quoi se faire plaisir avec Agent X27, Blonde Vénus ou encore La Femme et le Pantin).   (Shang - 27/10/10)

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Un chef-d'oeuvre, oui mes amis, dont Shang a expédié un peu vite le très beau scénario, qui me semble à moi beaucoup plus profond et émouvant que ce qu'on peut en voir en surface. Shanghai Express est un jeu de dupes d'où surnagent uniquement les femmes, les deux revers de la même médaille que sont Shanghai Lily et Hui Fei. Tous les personnages masculins, aussi fats qu'engoncés dans leur statut social, vont s'avérer au cours du film comme des guignols dissimulant tares et secrets inavouables : l'infâme Chang est un bandit de grands chemins prêt à n'importe quelle bassesse pour tâter de la cuisse (incroyable mépris quand, faute d'avoir Marlene, il se tape Anna), le gars bien propre sur lui s'avère être un trafiquant d'opium, le militaire français est défroqué mais fait semblant rien que pour sa réputation familiale, le riche fait fièrement étalage de ses faux bijoux, et même l'ambivalent Carmichael, au début toutes griffes dehors devant la présence de prostiputes dans son wagon, se change peu à peu en humain touchant (seule métamorphose positive du film). Ce ramassis d'escrocs en tout genre se heurte à la droiture morale de ces deux femmes dépravées : Hui Fei sera la plus radicale, elle qui ira jusqu'à tuer celui qui l'a violée, mais Marlene ne sera pas en reste, elle qui se sacrifiera par amour pour un homme qui la méprise désormais et n'a plus foi en elle. La foi : c'est le sujet principal de cette histoire ; mais pas la foi religieuse (quoi que...) : la foi en l'autre, qui se dessine sous le couple glamour Shanghai Lily-Harvey. Pour que l'amour soit possible, il faut que Harvey arrive à faire confiance à Marlene sans preuve, qu'il la croie, qu'il voit en elle le beau personnage sous les ors clinquants de la pute. Belle scène notamment où elle lui montre une lettre seulement au moment où il croit à sa fidélité : il lui a fait confiance, il l'a crue... même s'il a eu tort !

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Ce voyage, de toute façon, n'est que symbolique. En atteste la Chine de pacotille, qui ne fait qu'à peine des apparitions dans la trame, que Sternberg nous donne à voir dans ses vignettes tournées à Hollywood. En attestent l'action "pour rire", ces coups de poing d'opérette, ces évasions à deux balles, ces résolutions improbables. Le parcours du train ne sert qu'à une chose : re-souder un couple qui s'est déchiré. La gare de Pekin au départ ressemble comme deux gouttes d'eau à la gare d'arrivée de Shanghai, et elle est filmée de la même façon (de très beaux travellings mouvementés, une foule qui envahit l'écran) ; le voyage, quant à lui, est filmé en huis-clos, en plans fixes, renforçant ainsi l'impression d'un voyage immobile, avec des événements historiques qui viennent aux personnages plus qu'eux ne vont aux événements. Au départ, on a un couple séparé, dont ne reste d'ailleurs comme souvenir qu'une montre ; à l'arrivée, on a ce même couple réuni, une nouvelle montre, et le monde autour qui n'a guère changé. Ce parcours sentimental est sûrement ce que le film a de plus beau. C'est Marlene qui dirige la barque, pas de doute, c'est elle qui va mener son amant exactement là où elle veut ; Von Sternberg réalise un très beau portrait de femme(s) fortes et courageuses y compris dans les sacrifices qu'on leur impose.

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Ceci dit, le film est bien un film d'homme : Sternberg magnifie son actrice comme jamais, aidé par la splendide photo et les costumes incroyables de la belle. Marlene est un pur objet, un fantasme, une forme, que le gars dispose dans la lumière rasante, qu'il donne à voir dans toute son altérité de star hollywoodienne, lui faisant adopter des postures incroyables destinées uniquement à mythifier le moindre centimètre de peau, le moindre geste. Magnifiques plans que ceux où Marlene prie (on ne filme que ses mains, alors que ce sont ses jambes qui ont été assurées pour un million de dollars), ou que ceux où, désemparée, torturée, elle lève les yeux au ciel telle une madone. Le film est avant tout ça : une forme, un écrin pour son actrice, et se fout bien de la vraisemblance. Jamais elle n'a été aussi belle et aussi déifiée. Un film de cinéphile, dont on aimerait garder chaque photogramme. Génial.   (Gols - 22/02/18)

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Commentaires
V
J'épargne aussi l'Ange bleu, bien sûr.<br /> <br /> <br /> <br /> (Mais Macao, ho ho ho ho...)
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M
C'est bien le problème chez Sternberg : ses scénaristes médiocres, pour ne pas dire nuls ( cf. les scripts de tous les Dietrich, Shangai gesture, Jet pilot...). <br /> <br /> (Sauf, mettons, peut-être, Anatahan.... Je demande à revoir)<br /> <br /> Y compris quand il s'inspire d'un chef d'oeuvre (Dreiser), les scenarios sont hélas bancals et faiblards, Harlequin c'est la Pleiade à côté.<br /> <br /> Mais bon, comme c'est par ailleurs un ahurissant génie visuel, plus qu'inspiré, on reste tout de même sur le cul.
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