Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol - 1960
Les débuts de Claude Chabrol sont tout de même autrement plus passionnants que ses films récents : preuve en est avec ce subtil et moderne film, portrait très caustique de la poule parisienne, comédie joyeuse qui se teinte très agréablement d'une critique acide de la société. On dirait que Chabrol n'a pas vraiment de scénario ici, qu'il ne souhaite qu'une chose : filmer ces quatre jeunes filles modernes (Lafont et Audran en tête) dans leur liberté, dans leurs petites agaceries et leurs grandeurs. C'est un festival de moues, de cris d'orfraie, de petites postures et de gouaille. Les comédiennes, en roue libre mais en même temps très bien dessinées par les situations que Chabrol leur impose, explosent de fraîcheur. A travers elles, on sent bien que c'est un portrait de la jeunesse dans son ensemble que tente de capter le cinéaste. Il y arrive pleinement, réussissant à saisir tout un air du temps, toute une ambiance. En plus des comédiennes, il utilise avec grâce les décors naturels de Paris, par quelques plans documentaires du plus bel effet (l'esprit Nouvelle Vague à 100%, avec ces plans qu'on croirait volés) ; grâce aussi à ces personnages secondaires masculins impeccables : le patron de la boutique, clownesque, guitryesque ; le soldat en permission (Claude Berri) ; le grand bourgeois, mollasson et creux ; ou l'inconnu à moto qui suit ces jeunes filles, et qui va se révéler être un mélange de douceur mélancolique, de vulgarité rentrée et de violence inassouvie.
Car violence il y a dans Les Bonnes Femmes, et pas des moindres. Certes, l'ensemble est léger et pimpant comme tout. Mais peu à peu, on se rend bien compte que les errances et les enthousiasmes de nos donzelles cachent mal un profond ennui de la vie, une recherche désespérée d'un amour fou qui n'arrivera pas. Les rapports entre les personnages sont souvent de moquerie, de domination, avec en fond une violence concrète (qui apparaîtra d'ailleurs pleinement dans la dernière bobine). Au détour d'une scène, le sang apparaît (une vendeuse qui garde au fond de son sac un fétiche fait d'un foulard portant le sang d'un décapité), le viol apparaît (effrayant cadre sur deux gros visages d'hommes qui essayent d'embrasser Bernadette Lafont en même temps), la violence incontrôlée apparaît (la scène de noyade à la piscine). Le regard de Chabrol sur les gens de son âge est très loin d'être lisse, les nuits parisiennes, même hystériques, cachent des dangers et des frustrations bien nombreux. Quand le dernier plan apparaît, sous la forme d'un regard-caméra très bien amené, on revoit l'ensemble du film d'un autre oeil : des jeunes femmes, agaçantes, attachantes et jolies, oui, mais qui sont aussi la proie sacrificielle des hommes et de la société. Chabrolissime en diable, n'est-ce pas ?