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25 janvier 2010

LIVRE : Opération Shylock - Une Confession de Philip Roth - 1993

9782070401901"Roman" foisonnant où l'imagination débridée de Roth bat à plein, tout en étant constamment sur la corde raide de la réalité : une confession, une pure fiction, une autofiction ?... Qu'importe après tout (qu'il ait été ou non un espion à la solde d'Israël, cela ne regarde que lui...) puisque cela lui permet de brasser une foule de personnages, une foule d'idées avec encore et toujours le même leitmotiv : que signifie être juif (américain ou non) aujourd'hui ? Lors d'une visite en Israël, alors même qu'il sort d'une profonde dépression provoquée par un somnifère aux effets seconds ravageurs (laissant forcément tout du long l'ambiguïté d'une hallucination...), il croisera plusieurs personnages pas piqués des hannetons : son double tout d'abord - personnage qui se fait passer pour Philip Roth himself et qui prône l'idée d'un retour massif des Juifs en Europe (au vu de la situation "dangereuse" d'Israël cerné par les pays arabes), un Palestinien, George Ziad, ancien camarade d'études qui tente de le sensibiliser aux conditions difficiles des siens, ou encore un troublant caractère, Smilesburger, qui tente de l'employer comme espion pour la cause israélienne. Il est venu en ces terres pour interroger l'écrivain juif (définitivement "réel" celui là) Aharon Applefeld et, entre deux aventures ubuesques, se rend notamment au procès d'un certain John Demjanjuk, un Ukrainien supposé avoir été, pendant la seconde guerre mondiale, "Ivan le Terrible", personnage coupable d'avoir exterminé des milliers de juifs dans les camps. La frontière entre réalité et fiction est plus fine que celle entre territoire israélien et palestinien, et Roth de jouer comme rarement sur les deux tableaux; comme il le note d'ailleurs à propos des histoires de son cousin Apter : "Ses histoires sont-elles vraies ? Moi, je ne pose jamais de question sur leur véracité. Je crois plutôt que c'est du roman et, comme c'est souvent le cas, le roman fournit à celui qui l'invente un mensonge par lequel il exprime son indicible vérité." Voilà donc notre ami Philip brinquebalé dans moult aventures qu'il raconte toujours avec la même verve et un sens de l'ironie unique : qu'il s'agisse des confrontations démoniaques avec son double, de son contrôle "d'identité" effectué par des soldats israéliens, de son véritable kidnapping effectué par des agents du Mossad, des embrouilles avec la femme de son double - qui finira forcément sous la couette, fatalement -, notre homme semble toujours plus subir qu'agir même si, à chaque fois, cela lui permet de se lancer dans des débats interminables sur la notion de "diasporisme" et du destin des juifs au XXème siècle - son véritable champ d'action étant les mots. Comme il le rappelle incidemment : "Toutes les histoires me fascinent, je reste assis et je ne bouge plus. Soit je les écoute, soit je les raconte. Tout vient de là". Oeuvre regorgeant de réflexions sur sa propre condition, mais avant tout oeuvre littéraire pleine de références à littérature elle-même. Il y a d'ailleurs, au passage, lorsqu'il est kidnappé sans savoir vraiment de quoi il retourne, cette magnifique "confession" sur ce que la littérature a toujours représenté pour lui. Il se rappelle notamment d'une fois où il s'était retrouvé dans un avion en perdition et la "bouée de sauvetage" qu'avait constituée pour lui la lecture d'un roman : "Je m'étais très vite dit : "Toi, tu te concentres sur Conrad", et j'avais continué à lire Nostromo, tout en gardant à l'esprit l'insolente idée qu'au moins je mourrais comme j'avais vécu". Et de conclure quelques lignes plus loin : "Le livre auquel on s'accroche dans les moments où l'on s'attend au pire est un livre qu'on aurait sans doute du mal à résumer de manière cohérente, mais on n'oubliera jamais que l'on s'y est accroché." Jusqu'au bout le doute plane quant à son éventuelle participation à la mission que veut lui confier cet agent du Mossad, mais cela lui permet encore une fois de se lancer dans des questionnements intérieurs qui pourraient parfaitement le définir en tant qu'écrivain : "Etais-je en train de succomber enfin à l'une des lois fondamentales de mon existence, à cet instinct pour l'imposture qui m'avais jusque-là permis de transformer mes actes et de leur donner vie dans le seul domaine de la fiction ?" On quitte ce livre avec quantité d'incertitudes ("l'incertitude de toutes choses", formule rothienne qui n'aurait point déplu aux Coen) sur la "véracité" de cette confession mais avec au moins une certitude : Roth fait partie des grands de ce siècle. Juste, nan?      

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