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4 novembre 2009

Les Feux de la Rampe (Limelight) de Charles Chaplin - 1952

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Avec ce film du Charlie vieillissant se confirme l'impression que nous a laissée son cinéma dans son entier : Chaplin n'était pas un grand metteur en scène. Mais nom de Dieu quel acteur génial ! Limelight mérite complètement sa réputation de grand film, mais encore une fois on est loin d'être conquis par la platitude de ces plans fonctionnels qui ne sont utilisés qu'à une seule fin : mettre en valeur le grand comédien, dans des cadres la plupart du temps frontaux, et dans lesquels Chaplin se déplace toujours habilement pour être filmé pleine face. Le sieur ne connaît pas grand-chose d'autre à part cette figure de style de base : montrer les visages de face, ou filmer des scènes de théâtre du point de vue du spectateur (éternelle formule magique de ses courts-métrages issus du café-théâtre). On lui sait gré pourtant, cette fois-ci, de tenter d'autres idées un peu plus audacieuses, comme ces plongées prises depuis les cintres sur sa petite danseuse, ou comme ces jolis travellings dans les scènes de foule. Quelques idées qu'il voudrait bien rapprocher d'un Powell, mais qui, trop rares, ne sont que de petites explosions au sein d'un film trop plat formellement. Côté montage, c'est encore pire, avec ces très bizarres coupes à l'intérieur d'une même séquence, qui cassent le rythme ou brouillent les pistes de l'espace. Si Chaplin a vieilli, c'est bien derrière la caméra.

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Mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait le sirop à l'intérieur ? Si la mise en scène est ratée, tout le reste est un enchantement. On est pourtant dans un mélo très appuyé : les amours entre un clown has-been et une danseuse dépressive, jugez du peu. Mais dans cette veine, Chaplin est un des meilleurs, et son histoire est bouleversante. Sûrement parce qu'à travers ce personnage d'ex-star de la scène, qui faisiat hurler de rire les foules mais qui aujourd'hui n'est plus qu'un laborieux pitre, on reconnaît facilement Chaplin lui-même. Le gars se cite perpetuellement, affichant sur ses murs des photos de sa jeunesse folle en "tramp", ou marmonnant des discours sur la difficulté d'être populaire jusqu'au bout (belle phrase : "J'aime le public, mais je ne le respecte pas"). Très joliment écrit, le film est un mélange d'amertume vraiment profonde et de tendresse débordante : l'alchimie entre ces deux options fonctionne pleinement et finit par exploser le cadre. Les dernières séquences, pourtant lourdement chargées en sentimentalisme, sont magnifiques, y compris pour cette fois dans le montage et le rythme de la mise en scène (ce vieux clown qui meurt en coulisse, remplacé dans le même mouvement par le visage de la danseuse rayonnante).

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Chaplin se retire avec éclat (et aussi avec cynisme, parfois, ne refusant pas de malmener un peu ceux qui l'ont abandonné, comprenez le public), en rappelant énergiquement ce qui reste de ses beaux jours : le duo mythique de quelques minutes qu'il forme avec Buster Keaton est ravageur, aussi drôle que triste (ces deux stars fabuleuses qui font une dernière pitrerie premier degré... on dirait Les Clowns de Fellini : terrifiant et bouleversant). Son discours de base (il faut laisser les feux de la rampe aux plus jeunes, savoir se retirer) ne trompe personne : malgré toute la place qu'il laisse à la jolie et convaincante Claire Bloom, il affirme encore haut et fort son immortalité. Son alter-ego Calvero meurt doucement au milieu des vieux accessoires de music-hall, après avoir passé le relais amoureux et artistique à la génération suivante ; mais c'est pour mieux affirmer qu'il y a encore du Charlie dans la place. Quand on constate la précision du jeu, la beauté de l'écriture et la maîtrise totale du sentiment, on ne peut que confirmer : il y est, dans la place.

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Commentaires
H
Je tombe sur cette phrase : « Le sieur ne connaît pas grand-chose d'autre à part cette figure de style de base : montrer les visages de face, ou filmer des scènes de théâtre du point de vue du spectateur (éternelle formule magique de ses courts-métrages issus du café-théâtre). » Le reste du texte a beau dire plutôt du bien du film (en ce qui me concerne l'un des plus émouvants qui soient, avec 'Les Lumières de la ville'), j'en reste consterné.<br /> <br /> <br /> <br /> On peut donc encore lire cela, rédigé avec cet aplomb-là, de la part de personnes qui visionnent des films tous les jours, voire plusieurs fois par jour. Décidément, il faut croire que Francis Bordat aura écrit en vain (il y a pourtant déjà vingt-deux ans) son superbe 'Chaplin cinéaste', qui devrait pourtant servir dans toutes les écoles de cinéma du monde, à chacune des étapes de l'écriture, du tournage et de la postproduction d'un film.<br /> <br /> <br /> <br /> (Par ailleurs, l'expression récurrente « le gars » est déjà passablement irritante pour parler de qui que ce soit, , mais alors à propos de Charlie Chaplin (« le sieur » n'est pas beaucoup mieux)... Je ne dis pas qu'il faut en parler comme d'une divinité intouchable, mais pourquoi pas « le type, là », ou « cézigue », pendant qu'on y est ?)<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a tout de même des choses réconfortantes, fût-ce a posteriori. S'il y eut bien un « homme-cinéma », une des quelques personnes sans lesquelles on pourrait sans doute beaucoup plus difficilement, de nos jours, voir des films anciens en streaming avec la même facilité qu'on utilise l'eau courante, ou en copie ultra-haute définition et « bonus » en cascades comme on avale une cacahuète* (à son époque, c'était une autre paire de manches), ce fut Henri Langlois. Un jour, on lui posa une question stupide du genre : « Quels films emporteriez-vous sur une île déserte ? » et alors qu'il avait dû voir à peu près tout ce qui du cinéma pouvait alors se voir, de toutes époques, de tous pays et de tous registres, il répondit : « Dix films de Chaplin ». Cette réponse, dans son excès même, c'est pour moi l'évidence, et je suis toujours stupéfait qu'elle ne le soit pas pour un plus grand nombre de cinéphiles.<br /> <br /> <br /> <br /> Chaplin est panthéonisé alors que, même longtemps après sa mort, il devrait être aimé, admiré, jalousé**, pris comme référence et pas seulement en tant qu'artiste comique extraordinaire, irréductible citoyen du monde et libre penseur proprement héroïque mais aussi, tout autant et tout à la fois, en tant qu'immense réalisateur (producteur-scénariste-monteur-compositeur***) ayant pendant quarante-cinq ans tiré le meilleur parti — avec quelles précision, pertinence, discernement, inventivité, singularité, puissance d'expression et délicatesse de touche — de toutes les ressources cinématographiques.<br /> <br /> <br /> <br /> Désolé pour le caractère un peu épidermique de ce commentaire, mais il est certains sujets (même si, par-devers moi, je peux en relativiser l'importance) à propos desquels j'ai tendance à répondre, à l'instar du protagoniste d'un film américain du milieu des années 1980 (je vous laisse deviner lequel) auquel on reproche de « prendre les choses trop à cœur » : « How can anybody care too much ? »<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> * : qu'il y ait ou non à redire à cet état de fait actuel (le gavage cinéphile), ce serait une autre discussion.<br /> <br /> <br /> <br /> ** : peut-être un constat permet-il de relativiser les minorations de l'œuvre de Chaplin, aussi nombreuses qu'hasardeuses. Que cet Anglais, parfait inconnu du moins du public de cinéma américain lorsqu'il commença chez Mack Sennett en 1914, soit alors devenu en quelques semaines, et pour longtemps, l'homme le plus regardé de toute l'histoire de l'humanité, le plus aimé et (non pas accessoirement car cela lui permit ensuite de financer lui-même entièrement ses films les plus ambitieux et les plus risqués, dont 'Le Dictateur') le plus riche (alors même que, cela va sans dire mais ça va mieux en le rappelant, il avait connu enfant une terrible misère matérielle et affective), voilà qui est déjà très considérable. Mais ce qui ne l'est pas moins à mes yeux, c'est le fait que, alors même qu'il fit ses premiers films aussi tôt dans l'histoire du cinéma (1914, à peine l'aube d'Hollywood !), il continue d'exister, peu ou prou, dans la mémoire et le cœur de bien hommes et des femmes, et parfois vivement chez certain(e)s. À part Mickey Mouse (qui apparut quatorze ans après Chaplin, et s'en inspira d'ailleurs au départ), je ne vois rien qui puisse se comparer à une telle pérennité, laquelle n'est pas due uniquement, je pense, à sa panthéonisation ni à sa « scolarisation ». Ce ne sera pas éternel : rien ne l'est ni ne devrait l'être (malgré l'emploi idiot, et fréquent, de cet adjectif à propos de films, d'actrices et d'acteurs). La connaissance et l'intérêt pour Chaplin ont déjà bien changé depuis mon enfance : à l'époque, bien que son tout dernier film fût déjà ancien, il était encore la vedette des cours de récréation, ce qui n'est évidemment plus le cas depuis longtemps. Pour autant, il est pour le moins étonnant qu'il ne soit pas encore devenu une pure pièce de musée (malgré les nombreux efforts en ce sens).<br /> <br /> <br /> <br /> *** : généralement, je me méfie des « hommes-orchestres » (les films de Lelouch seraient peut-être un peu moins affreux s'il ne les cadrait pas lui-même), ou du moins je ne conçois pour eux aucun enthousiasme a priori, mais Charlie Chaplin fait exception. Est-il besoin de le préciser, puisqu'il fait exception en toute chose, et qu'on ne peut parler de lui, au regard de ce qu'il a entrepris, qu'en termes superlatifs ? (Y compris en superlatifs de haine dont, parmi mille autres et bien des pires — cf. les appréciations des nazis, des maccarthystes et des ligues de vertu américaines — le célèbre mot d'André Suarès : « Ce cœur ignoble de Charlot, je voudrais l'écraser comme une punaise. ») Même après des décennies de coexistence avec ses films, je ne parviens toujours pas à comprendre comment cet homme (le seul, en cinéma, auquel j'accolerais l'épithète de « génial », à l'exception peut-être et pour d'autres raisons d'Ub Iwerks et de Norman McLaren, et malgré l'admiration sans bornes que je voue à de nombreux autres cinéastes) a pu faire le tiers du quart de ce qu'il a accompli.
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