Les Feux de la Rampe (Limelight) de Charles Chaplin - 1952
Avec ce film du Charlie vieillissant se confirme l'impression que nous a laissée son cinéma dans son entier : Chaplin n'était pas un grand metteur en scène. Mais nom de Dieu quel acteur génial ! Limelight mérite complètement sa réputation de grand film, mais encore une fois on est loin d'être conquis par la platitude de ces plans fonctionnels qui ne sont utilisés qu'à une seule fin : mettre en valeur le grand comédien, dans des cadres la plupart du temps frontaux, et dans lesquels Chaplin se déplace toujours habilement pour être filmé pleine face. Le sieur ne connaît pas grand-chose d'autre à part cette figure de style de base : montrer les visages de face, ou filmer des scènes de théâtre du point de vue du spectateur (éternelle formule magique de ses courts-métrages issus du café-théâtre). On lui sait gré pourtant, cette fois-ci, de tenter d'autres idées un peu plus audacieuses, comme ces plongées prises depuis les cintres sur sa petite danseuse, ou comme ces jolis travellings dans les scènes de foule. Quelques idées qu'il voudrait bien rapprocher d'un Powell, mais qui, trop rares, ne sont que de petites explosions au sein d'un film trop plat formellement. Côté montage, c'est encore pire, avec ces très bizarres coupes à l'intérieur d'une même séquence, qui cassent le rythme ou brouillent les pistes de l'espace. Si Chaplin a vieilli, c'est bien derrière la caméra.
Mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait le sirop à l'intérieur ? Si la mise en scène est ratée, tout le reste est un enchantement. On est pourtant dans un mélo très appuyé : les amours entre un clown has-been et une danseuse dépressive, jugez du peu. Mais dans cette veine, Chaplin est un des meilleurs, et son histoire est bouleversante. Sûrement parce qu'à travers ce personnage d'ex-star de la scène, qui faisiat hurler de rire les foules mais qui aujourd'hui n'est plus qu'un laborieux pitre, on reconnaît facilement Chaplin lui-même. Le gars se cite perpetuellement, affichant sur ses murs des photos de sa jeunesse folle en "tramp", ou marmonnant des discours sur la difficulté d'être populaire jusqu'au bout (belle phrase : "J'aime le public, mais je ne le respecte pas"). Très joliment écrit, le film est un mélange d'amertume vraiment profonde et de tendresse débordante : l'alchimie entre ces deux options fonctionne pleinement et finit par exploser le cadre. Les dernières séquences, pourtant lourdement chargées en sentimentalisme, sont magnifiques, y compris pour cette fois dans le montage et le rythme de la mise en scène (ce vieux clown qui meurt en coulisse, remplacé dans le même mouvement par le visage de la danseuse rayonnante).
Chaplin se retire avec éclat (et aussi avec cynisme, parfois, ne refusant pas de malmener un peu ceux qui l'ont abandonné, comprenez le public), en rappelant énergiquement ce qui reste de ses beaux jours : le duo mythique de quelques minutes qu'il forme avec Buster Keaton est ravageur, aussi drôle que triste (ces deux stars fabuleuses qui font une dernière pitrerie premier degré... on dirait Les Clowns de Fellini : terrifiant et bouleversant). Son discours de base (il faut laisser les feux de la rampe aux plus jeunes, savoir se retirer) ne trompe personne : malgré toute la place qu'il laisse à la jolie et convaincante Claire Bloom, il affirme encore haut et fort son immortalité. Son alter-ego Calvero meurt doucement au milieu des vieux accessoires de music-hall, après avoir passé le relais amoureux et artistique à la génération suivante ; mais c'est pour mieux affirmer qu'il y a encore du Charlie dans la place. Quand on constate la précision du jeu, la beauté de l'écriture et la maîtrise totale du sentiment, on ne peut que confirmer : il y est, dans la place.