Few of Us de Šarūnas Bartas - 1996

Pourquoi est-ce que nos lecteurs nous conseillent toujours des films contemplatifs ? C'est un mystère, mais le fait est que ce n'est pas avec Šarūnas Bartas qu'on va se taper sur les cuisses ou assister au gunfight de l'année. Few of Us, c'est 1h33 de plans fixes sur un pays guère riant (pas nommé, mais ça ressemble au coin le plus sordide de la Sibérie) traversé par une jeune femme. J'exagère, il y a un peu d'action à partir de la moitié du film, un viol, un meurtre ou deux et un groupe de yacks qui galopent.

Les cinéastes qui ont tenté de filmer le temps et y ont réussi sont nombreux : Klotz, Kiarostami, Costa, Straub... Pourquoi Bartas n'y arrive pas ? C'est difficile à cerner. Peut-être parce qu'il le fait avec trop d'ostentation, avec trop de crânerie : on dirait que le plan interminable constitue une fin en soi de son cinéma, sans réelle motivation, sans justification esthétique ou scénaristique. La caméra commence à tourner systématiquement 2 minutes avant l'action, puis se coupe 2 minutes après, ladite action consistant bien souvent en une simple traversée du cadre d'un personnage ou un souffle de vent dans les arbres. On comprend le principe, cette volonté de nous faire aborder la durée autrement, de changer les codes du regard, de raconter l'histoire par l'immobilité et la lenteur, de tenter d'autres rythmes. Mais on l'avait compris dès le début, et se taper ce film en entier constitue une sorte de punition qui ne fait qu'enfoncer le clou sans autre idée que celle de départ. Bartas enlève tout repère à sa trame, faisant confiance au spectateur pour coudre ensemble les morceaux d'histoire. C'est tout à sa gloire, mais cet effet semble gratuit, comme un tic de petit malin qui s'évertuerait à faire compliqué quand il pourrait faire simple. Parce que sous des aspects presque zen, épurés, Few of Us est un film très (trop) complexe, qui se prend la tête sans qu'on le lui demande. Manque de modestie sûrement, qui fait qu'on s'applique assez scolairement à enlever tout ce qui pourrait donner du sens à ce qui est raconté pour prouver qu'on touche à l'essence du cinéma.

On admire, cela dit, la science du cadre du sieur, certains plans étant vraiment de toute beauté ; et on note aussi au passage sa volonté de livrer une sorte de western épuré (l'inconnue qui arrive en ville, la violence qui en résulte, la traque, et même certains cadres piqués à The Searchers de Ford ce me semble), en en ralentissant jusqu'à l'arrêt les grandes étapes. Mais Few of Us reste assez nettement chiant et finalement pas très intéressant dans cette tentative (vraiment pas nouvelle, en plus) de faire du cinéma un dispositif de simple enregistrement du réel.