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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
12 septembre 2017

M le Maudit (M) (1931) de Fritz Lang

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Après à peine cinq minutes de film, il est facile d'être convaincu qu'on est bien en face d'un chef-d'oeuvre. Si l'intrigue demeure captivante, chaque séquence est, dès le départ, au niveau du graphisme, du montage, de l'utilisation du son, du cadre, du symbolisme ou plus précisément du pouvoir d'évocation... (tout cela, et encore plus), d'une intelligence évidente - quand on apprend, ensuite, en plus, qu'il s'agit du premier film allemand parlant, on est sidéré de voir à quel point Lang a su utiliser, incorporer dans sa trame, ce procédé, mêlant voix in et off avec une grande originalité, provoquant des frissons dans le dos avec un simple petit air sifflé (Peter est le loup)...

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On pourrait écrire une thèse sur le cinéma, sa grammaire, son emprise sur le spectateur, à partir de ce simple film, une oeuvre capable de rivaliser avec Citizen Kane et j'en vois, comme ça, pas des tonnes (je cherche pas trop non plus). Une gamine, filmée en plongée, entourée de bambins, récite sa petite comptine diaboliquement glauque - il est question d'un meurtrier sans pitié - et vlouf - ou ouaf, ça dépend de votre poids -, vous voilà happé par ce film sur un petit ton grinçant. Dire qu'ensuite tout s'enchaîne avec une fatalité déconcertante, c'est rien de le dire (je me suis refait trois fois le début, c'est hallucinant de maîtrise). Une femme grimpe des escaliers, parle avec une autre femme sur son palier de cette petite comptine qui l'agace, contre-champ, nous voici dans l'appartement de la seconde femme avec laquelle, finalement, on reste : elle attend justement sa fille, il est midi, plan sur la boîte à coucou, le petit oiseau va sortir... (Quel blagueur ce Fritz). Ensuite c'est un festival pictural : la  petite fille sort justement de l'école (elle est au bord du trottoir, une voiture la frôle, premier danger, ouf, ah tiens un flic l'aide à traverser la rue, la pression retombe, mais à peine...) lance son ballon contre une affiche mettant en garde contre un meurtrier qui rôde, et l'ombre du gars qui apparaît, justement... Tout s'enclenche avec une telle perfection, la machine cinématographique est tellement bien huilée qu'on en frémit d'avance...

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On retrouve la mère qui commence à s'affoler, entendant des bruits montant de la rue, elle appelle sa fille par la fenêtre, un plan fixe sur une cage d'escalier désespérément vide, sur un grenier désert, la voix commence à résonner dans notre tête à tel point qu'on se demande si le prochain plan ne sera pas sur l'intérieur de notre crâne, un plan sur l'assiette blanche, toute triste, de la gamine, puis sur un terrain vague avec la balle de la chtite qui rentre dans le champ en roulant, puis - incroyable - sur le ballon gonflable que lui avait offert notre killer : il est pris dans les fils électriques, bouge un poil, puis s'envole vers les cieux : on a compris qu'elle s'était sûrement débattue mais que son âme est déjà au ciel : c'est magistral, on a rien vu, on a tout ressenti : on vient d'assister au meurtre le plus horrible jamais filmé avec trois plans fixes, une assiette, une balle, un ballon - on est sur le cul alors qu'on l'était pourtant déjà avant sans en prendre conscience, c'est ça la magie du cinéma.

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Ensuite la terreur se propage a vitesse grand V : chacun est prêt à accuser littéralement son voisin (encore l'un de ces fameux plans en plongée sur une tablée de bourgeois où les êtres nous apparaissent comme de pauvre insectes prêt à s'entredévorer); un autre plan sur une affiche mettant en garde contre le meurtrier (un travelling arrière sur une foule qui ne cesse de s'aggrandir), une personne lit l'affiche à voix haute et l'on glisse subtilement par le biais de cette voix (qui est en fait une autre quand on revoit la scène - il y a eu une petite interruption entre les deux) à la séquence suivante, celle du Secrétaire qui lit lui-même cette annonce au commissaire. La fameuse discussion au téléphone entre le "secrétaire" et le commissaire dure des plombes mais n'est jamais plombante, car elle est entrecoupée d'une multitude d'autres scènes, où l'on voit les efforts des policiers, le résultat d'une analyse graphologique, deux témoins qui ont vu la chtite le jour même et qui, incapables de se mettre d'accord, s'invectivent (gros plans terribles sur leur visage éructant de colère), un compas qui trace des cercles de plus en plus grands autour de la ville pour signifier la progression des recherches - une image qui traduit tout autant la progression de la peur -; la délation fait rage (1931, Fritz Lang est bien un cinéaste d'avant-garde ou de mise en garde...) et on assiste à des scènes où chaque "suspect" lambda risque de se faire lyncher par la vindicte populaire... (un chtit monsieur qui donne l'heure à une gamine - le champ/contre-champ, plongée/contre-plongée sur notre petit homme face à l'immense brute qui l'accuse est terriblement exagéré et visuellement jouissif ; un pickpocket arrêté par la police rapidement entraîné par une foule haineuse qui ne cherche pas à comprendre ses torts...). On est dans nos petits souliers...

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La police et la pègre qui voient leurs affaires baisser à cause des multiples rafles dans les bas-quartiers (l'ère du "tout policier" a déjà sonné, avec les moins aisés qui sont forcément les premiers coupables... bien sûr... La caméra de Fritz Lang filme la ville sous tous les angles, semblant annoncer les caméras qui fleurissent de nos jours dans nos petites cités...) sont filmées tour à tour (le travail sur les répliques qui s'enchaînent en zappant d'un monde à l'autre est encore bluffant) pour mettre en place une stratégie contre le tueur. Les gars de la pègre décident d'engager tous les clodos qui quêtent (c'est pas la main d'oeuvre qui manque... La crise, vi) pour quadriller la ville ; Lang nous gratifie alors d'un plan-séquence ultra alambiqué (caméra qui vole au-dessus de la pièce, qui passe d'un étage à l'autre en passant par une fenêtre... la totale - même Sokurov doit être vert) pour nous montrer leur recrutement. Là j'ai dû caresser mon chien pour revenir sur terre... Il y aura la fameuse marque M collée sur le dos du suspect, la traque du gars qui s'organise (c'est filmé réellement par satellite (ah si) et on se dit que Lang était vraiment super fort) et les yeux du Peter Lorre de rouler de terreur...

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Le procès populaire final fait preuve de la même maestria, avec notre Peter Lorre qui se tord de douleur, se traînant à terre en avouant ses pulsions monstrueuses, la foule qui gronde faisant fi de ses commentaires et un avocat qui tente désespérément de rendre cette foule à la raison en lui demandant une once d'humanité - l'homme est malade, totalement sous l'emprise de ses pulsions infernales et ne demande qu'à être soigné... Mais peut-on intelligemment raisonner une foule (plus apte, sûrement, à entendre un discours démagogique... bah). Lang séduit sur la forme et nous foudroie sur le fond : un "visionnaire" dans les trois mille sens du terme (mais là j'ai plus le temps). M'a bien plu, moi, cet ptit film, très expressif - ah, on dit expressionniste - oui bon, on se comprend.  (Shang - 01/03/09) 

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Bah c'est toujours le souci avec les chefs-d'oeuvre intersidéraux, difficile de dire autre chose que : c'est génial. M le Maudit ne se raconte pas, il se regarde, et bouche bée qui plus est. Le texte de mon compère est impeccable, si après ça vous n'avez pas envie de revoir la chose et de ne plus regarder que ça, c'est que vous n'aimez pas le cinéma. J'ajouterais juste qu'il y a dans ces milices de malfaiteurs qui s'organisent pour pouvoir continuer à perpétrer leurs crimes un cynisme jubilatoire, une sorte de désespoir total hérité des pièces de Brecht et qui colle bien à l'époque : on peut voir en effet le film comme une allégorie de l'époque, en avance sur son temps quand il s'agit de pointer les petitesses d'une société sclerosée de toutes parts. Dénonciation de la délation, variation sur le Mal contenu au sein de la société, sur les ambiguités de ce qu'on appelle un Monstre, sur la corruption, l'inhumanité des petites gens,... le truc présente un visage amer et violent de la société allemande de l'époque avec un prophétisme sidérant. Pour ce qui est de la forme, c'est une perfection absolue, la fluidité faite film, plein de plans qui restent en tête (ces décors nocturnes vides qui se remplissent peu à peu de personnages silencieux, cet implacable tribunal pris dans des gros plans dignes de Jérôme Bosch, la succession de cadres très scientifiques, très documentaires, sur le travail de la police, etc etc). On n'aura jamais fini de faire le tour de ce sommet, les enfants, contentons-nous donc de vénérer la chose en sifflotant prophétiquement...   (Gols - 12/09/17)

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Commentaires
J
Il sifflote "Peer Gynt" de Edvard Grieg, et non Pierre et le Loup...
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