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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
2 mars 2021

La Nuit du Chasseur (The Night of the Hunter) de Charles Laughton - 1955

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Je ne l'apprends à personne, j'imagine : The Night of the Hunter est un pur chef-d'oeuvre sans défaut (ou presque), un de ces joyaux uniques qui fabriquent une cinéphilie, un de ces films dont on ne revient jamais complètement. Il y a un avant The Night et un après The Night, et pis c'est tout. C'est sûrement l'oeuvre qui se rapproche le plus de ce que c'est que le monde de l'enfance, avec ses épouvantes et ses amours, avec sa complexité psychologique, sa naïveté, son sérieux et sa grande douleur. Laughton reste toujours à hauteur d'enfant, plongeant son univers dans une sorte d'onirisme hypnotique : les mômes du film affrontent la vie et les vices des adultes sans trop les comprendre, palliant leurs désillusions par le rêve et l'imaginaire.

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Le film est un conte dans la grande tradition de celui-ci : pas mièvre, pas idyllique ; âpre et rude, initiatique mais sans illusion. Il y a l'ogre (Mitchum, génial dans son jeu farcesque et effrayant), il y a la vieille dame gentille, il y a la rivière et la forêt comme symbole du passage initiatique, et même les jolis animaux, lapins, chouettes, renards, tortues, moutons, crapaud. Le temps, thème principal du film, ne cesse d'agir contre les êtres, et Laughton est d'une grande justesse quand il affirme avec violence que le vieillissement corrompt les hommes. Pas un adulte en effet pour sauver l'autre là-dedans : tous sont violents, démissionnaires devant la douleur des enfants, indifférents au mieux, sanguinaires au pire. Le personnage du garçon, déjà à moitié adulte face à la somme d'épreuves qu'il doit endurer, a déjà un pied dans la déchéance de l'âge mûr. Laughton crie sa colère devant la perte de l'innocence imposée par les grands aux petits, par les puissants aux faibles. Tout est horreur autour de ces enfants, et leur seul moment de calme résidera dans la solitude et la fuite (sublimes scènes sur la rivière, apaisées, lentes, proches du merveilleux).

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La mise en scène est exemplaire, jouant sans cesse sur la dualité. De nombreux plans sont coupés en deux par le milieu, opposant entre la droite et la gauche deux entités ennemies, à l'image des fameuses mains tatouées de Mitchum (Love et Hate). Le plus beau plan, une femme guettant le monstre dans l'ombre au premier plan à gauche, lui-même attendant son heure à droite, les deux réunis par un cantique macabre qu'ils chantent à l'unisson, mérite certainement le titre de plus beau plan de l'Histoire (dit-il en s'emballant un chouille). Mais cette dualité n'exclut pas une grande subtilité psychologique de la part de Laughton, qui montre la somme de fascination exercée par le Mal qu'incarne Mitchum (la jeune fille qui tombe amoureuse de lui, la fillette qui ne peut s'empêcher de tomber dans ses bras alors qu'il a essayé de la tuer). Rien n'est noir ou blanc, tout est subtilement écrit pour nous plonger dans l'ambiguité de chaque personnage. Les contrastes incroyables de l'image sont les seules touches tranchées de l'histoire, s'appuyant sur une esthétique expressionniste pour mieux en fusiller les principes manichéens.

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Pour mettre un tout petit bémol, il est dommage que Laughton ait conservé les scènes sans les enfants, un peu privées de style parce qu'elles ne sont plus "subjectives", ne passent plus par leur regard épouvanté. Même si celle de l'assassinat de la mère est sublime (découpage génial, décor à la Murnau qui multiplie les angles de lumière expressifs), même si le fameux plan sur le cadavre dont la chevelure épouse les mouvements des algues est bluffant, les autres sont assez ternes comparés à l'ensemble. Mais ces quelques minutes-là n'enlèvent rien à la prodigieuse inspiration de The Night of the Hunter, film magnifique visuellement, d'une profondeur vertigineuse, et d'une audace totale (la religion en prend pour son grade, le monde idyllique construit par les adultes pour les enfants aussi). A revoir toute sa vie. (Gols 30/09/08)

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Une pure merveille, un miracle, oui ce film-noir (et maudit en son temps) continue d'être auréolé (tout comme la mère du gamin dans son lit avant d'être sauvagement...) d'un halo de lumière magique. Que ce soient le jeu sur les ombres (exceptionnel directeur de la photo que ce Stanley Cortez qui aime à faire le point sur le premier et le second plan ou qui s'amuse des ombres gothiques, expressionnistes, toutes en pointe), les douces mélodies de Walter Schumann qui se font virevoltantes même dans les instants les plus noirs (et crée un curieux décalage, comme si le film jouait constamment sur ce fil ultra-tendu entre noirceur et fable) ou la direction d'acteurs d'un Laughton aussi précis pour diriger les gamins que les acteurs ultra-pro (Gish et Mitchum, à nos souhaits), on se régale devant chaque plan. Enième fois que je le revois et toujours joie de retrouver justement cet air bougon de Mitchum qui, à chaque fois que les gamins lui échappent, fulmine, grogne, grince des dents (un grand méchant loup tout à la fois horrifique mais qui garde un petit air bouffon - on l'imagine aisément, en son for intérieur, psalmodier tel un personnage de Tex Avery des "un jour, je les aurai, je les aurai"), de revoir ce passage où les enfants, étant enfin parvenus à échapper aux adultes (sans vouloir répéter ce qu'en disait très justement Gols à ce sujet), passent de l'autre côté du miroir, dans ce monde innocent, habité par des animaux sauvages, pacifistes (si ce n'est cette chouette effraie, véritable miroir de Mitchum, qui cherche à s'emparer d'un petit lapin à la moindre occasion : la nature (humaine ou tout court) est cruelle), de savourer ces moments ultra excitants où Mitchum à deux doigts de bouffer tout crus nos deux agneaux, glisse, s'embourbe, se fait canarder... On oscille toujours entre ces instants très noirs, terribles, cauchemardesques (Mitchum, sous ses dehors d'homme de religion, ne prêche que pour sa gueule, avec un cynisme extrême - un pervers en tout point, à l'image de ce canif qui se dresse dans sa poche dès qu'il est excité (toute personne n'y voyant pas un symbole phallique a encore la possibilité de rentrer au couvent)) et cette imagerie de conte où les innocents finissent toujours, par quelques miracles inattendus, par trouver un subterfuge, un abri, une personne qui les protège.

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Il ne faut pas se fier aux apparences : ce monde est un monde brutal, violent, rageur (je ne me souviens jamais de cette meute fordienne, cette masse populaire qui, sur la tout fin du film, fait feu de tout bois (la vieille qui s'excite en voyant la gamine dans un restaurant !), prête à lyncher Mitchum (quand les enfants eux-mêmes, après avoir subi dans la trouille le harcèlement de cet homme, étaient toujours prêts, jusqu'au bout à prendre sa défense - à quoi bon le maltraiter maintenant qu'il est capturé ?), voilà la morale de cette histoire assurément digne des meilleures fables. Mitchum, l'homme de la parole, le politique parfait, sait comment attirer la sympathie, troubler les pistes, charmer : homme de dieu, il est le diable mais un diable qui sait constamment trouver les mots pour charmer ses ouailles ; seul le gamin, accusé pourtant de mentir par sa propre mère, a cerné dès le départ ce manipulateur vénal, absolument sans foi ni loi sous ses grands airs de Monsieur la Bonne Morale. C'est sûrement toute cette noirceur de l'âme humaine que Laughton parvient le mieux à illustrer par le biais de ce personnage malin comme un serpent en société et brutal comme la foudre loin des regards. Mais ce personnage terrifiant, avec ses petits chuintements, dans ce monde empli malgré tout de poésie, de douceur, d'étoiles, d'aurore des premiers jours garde toujours en lui un petit côté humain, nuancé, presque drolatique même parfois qui le rend si exceptionnel, inoubliable. Tout le film de toute façon parvient à jouer sur cette corde si sensible entre personnes et paysages monstrueux, maléfiques et moments de paix et personnages astucieux (le gamin, jamais à court d'idées pour déjouer l'assurance de ce grand méchant loup sûr de croquer ses proies et sa part de galette). Bref, un film unique, en tout point, remarquable, dont on ne se lasse jamais - à montrer absolument aux enfants entre deux Disney, rien que pour développer leur "goût artistique", si. (Shang 02/03/21)

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Commentaires
T
A mes yeux, le plus beau film qui soit ! Number one sur mon podium...
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