Les Amants réguliers (2005) de Philippe Garrel
"Le cinéma est mieux que la vie", nous disait ce bon vieux Truffaut; Philippe Garrel nous prouve qu'il peut aussi être pire.
Non, franchement, le cinéma français dans ce manièrisme auteuriste -et Dieu sait que je suis fan derrière mes allures de méchant garçon- est parfois gonflant et ronflant de prétention et de nombrilisme. Franchement, 3 heures, c'est déconner pour nous raconter un amour qui se veut passionnel et qui est bien bien pâle. La sinistrose a encore frappé.
Après une première heure soixante-huitarde reconstituée dans un terrain vague (sous la terre, la terre...), quelques fumettes d'opium et des contre-jours sur le millénaire Maurice Garrel, on pense entrer dans le vif du sujet avec ces images de flirts et de la musique de jeune (jolie chorégraphie cela dit). Tout le monde est super abattu pasque la révolution a po marché, mais tout le monde a tellement d'énergie, et c'est tellement peu la fête du slip qu'on se dit : la chienlit gaulliste ça devait être énorme... Après, pendant 2 heures je vous jure que j'ai pas dormi (contrairement à Proutouie qui dormait du sommeil du juste sûrement à se demander ce qui me passait par la tête de regarder des films pareils - désolé vieux), mais j'ai pas vu un pète de tremblement, pas plus que dans les volcans d'Auvergne et pourtant les fumerolles n'arrêtaient pas. J'ai mangé ma glace (les Magnum en boîte en carton avec la croute qui croustille) et me suis demandé où bordel de merde il allait finir par en venir... Un bellâtre super riche, quelques fumettes d'opium, un homo à la ramasse, quelques fumettes d'opium et des filles tellement tristes que Mère Teresa passerait pour une noceuse. Seul le gentil sourire de la charmante Clotilde Hesme (moi aussi je t') venait irradier de temps en temps ce film pour me sortir de ma torpeur.
J'avoue que le dernier quart d'heure (la séparation) est de loin ce qui me semble le plus réussi, quant au suicide du Louis Garrel (3rd generation, mais rien à voir avec Star Trek), on se fait po trop de souci, parce qu'on voyait bien qu'il était déjà à demi-mort depuis 2h45. (Allô, Allô, Spock? Spock ne répond plus, sortons le navire-amiral)
Pas plus d'action que dans France-Suisse - et plus long, c'est ma conclusion. (Shang - 17/06/06)
Mon copain Shang restant un indécrottable anti-romantique, je comprends qu'il soit passé à côté de cette oeuvre incandescente et sublime. Il m'appartient donc de rétablir la vérité. Les Amants Réguliers est le plus beau film de Garrel depuis la fin de sa période "films de junkie", une ode mélancolique sur la fin des utopies et l'échec de l'amour, un chant du cygne bouleversant sur la banalité affligeante des choses qu'on voudrait gigantesques.
La première heure est une évocation très "parcellaire" des révoltes de 68. Plutôt que de s'accrocher à une reconstitution réaliste des faits, Garrel choisit intelligemment de rendre compte de cette période à la Proust, par le prisme du souvenir intérieur qu'il en a. Privées d'éclat, jamais dopées par des effets musicaux ou visuels, les manifestations apparaissent dans toute leur vérité, mais abordées par l'homme qu'est devenu Garrel en 2006. Le noir et blanc très contrasté donne encore plus de tristesse à ces séquences, plongeant les personnages dans un crépuscule troublant, celui des utopies, des idées révolutionnaires : la jeunesse (sujet principal du film) y éclate dans tous ses aspects : belle par ses engagements et par la joie du changement, mais déjà confrontée à un monde qui l'engloutit dans la nuit. Quelques pavés lancés, la une d'un journal, une voiture renversée : l'évocation est simple, directe, sans fioritures. Seule une allsuion directe à la révolution de 1789 est là pour sortir ces scènes du pur onirisme. Plutôt que de raconter pour la énième fois, le cinéaste se concentre sur ce jeune homme (Louis Garrel), sur la beauté de son combat "quotidien" : c'est un gars normal, ni extrémiste ni assagi, qui promène ses convictions dans un monde qu'il voudrait plus grand.
Les révoltes terminées, les grandes idées rangées au placard, le film se tourne alors vers l'amour, comme une suite logique. Mon camarade prétend que Garrel voudrait rendre cette histoire sublime, mais c'est tout le contraire : le film travaille sur la normalité des faits. Son petit couple Garrel-Hesme est l'un de ces milliers de couples qui est né à la suite des évènements de mai, sans plus. Lui veut être poète, elle sculptrice : romantiques comme on devrait l'être tous à 20 ans, beaux à mourir, charmants dans leurs relations rêvées, voilà comment Garrel rêve la jeunesse de cette époque, et il a diablement raison. Mais comme il s'appelle Garrel, et que sa tristesse nostalgique n'est plus à prouver, il plonge cette jeunesse dans la désillusion. Du coup, le film devient un poignant essai sur la perte des illusions mise en parallèle avec la perte de la beauté. Il y a du Rimbaud là-dedans, le Rimbaud écorché et désespéré des Illuminations : quelque chose subsiste de la fougue, mais la vie s'est chargée de l'étouffer sous la trivialité du quotidien. Il faut gagner de l'argent, il faut renoncer aux idées, il faut se créer une belle vie. Certains s'échappent (très belles scènes de drogue), d'autres se renient (le dialogue sublime avec la copine qui rêve de mariage) ; en tout cas, tous se heurteront à l'échec, et la rupture arrivera, comme est arrivée la fin de mai.
C'est ça qui bouleverse dans Les Amants Réguliers : l'indéfectible tristesse de son auteur. Il voudrait considérer l'amour comme un mythe, et fait encore une fois le constat de sa faillite face au monde. Entre L'Eau Froide de Assayas et Naissance des Pieuvres de Sciamma, il livre le portrait de la Jeunesse, dans toutes ses contradictions, dans toute sa fougue physique et intellectuelle, mais aussi dans tout son aspect éphémère et implacable. La beauté des choses est avalée par la bêtise : les flics, l'argent, le temps qui passe, voilà les ennemis. Quel cinéaste sait s'engager à un tel point dans cette sorte de discours ? La caméra enregistre tout, des élans de rythmes (sublime scène de danse, où les corps zèbrent de blanc un écran empli de ténèbres) aux rêves de gosses (le prince et la princesse de la fin), de la découverte du sexe (le film est très pudique, mais montre par exemple une Clotilde Hesme tout étonnée devant le regard scrutateur d'un sculpteur qui la choisit pout modèle) à la métamorphose en adulte. Garrel est définitivement du côté de la jeunesse, utilisant d'ailleurs son père comme exemple du vieil homme ayant gardé ses émerveillements de gosse. On ressort de cette longue plainte les larmes aux yeux, sur le cul devant tant de sincérité et de malheur qui s'exprime. Comment Proutouie a-t-il pu dormir devant cette merveille ? (Gols - 27/07/08)
Garrel soûle ou envoûte ici